Texte des Autres (1998)

Voici une suite de textes que j'ai aimés et qui s'entassent dans un tiroir intitulé : textes des autres

Poèmes de Daniel Biga

on va au travail
on a du mal à simuler
on s'habille sans se doucher
- ou on se douche sans s'habiller-
on se change sans se raser
on baille on rote on pète
on jure à mi-voix "crénom de ...
on chie de travers et on a mal au cul
on se lave les mains dans la salade
on dort bouche ouverte en ronflant
etc. etc.
on vit dit-on

Secret de Loire

Des mulets pourrissent sur la digue
du bois de flottage s'est échoué sur le chemin de halage
brumes du matin
un homme passe en sifflotant
sur le pont en aval défilé d'autos très mobiles
(on entend) les rumeurs de la ville
la Loire coule opaque
il y a un secret que nul ne peut dévoiler

Comprendre

Assis dans le noir au WC pensif
un bruyant avion passe sur la ville

le sol froid sous les pieds nus
amène enfin l'évacuation

soudain je comprends
Dieu n'est pas plus réductible
à l'ordre du mythe
qu'à l'ordre de la science

ô sens fulgurant de l'insomnie !

Sur l'autoroute brouillard et sommeil vitesse et fatigue vibrations et nausée: chacun de nous est Lindberg survolant l'Atlantique

Le train du temps roule boule
le paysage se déboule et s'enroule
peu à peu nos parents deviennent nos enfants
peu à peu nous sommes les ancêtres du monde
le veau dort (et toujours debout)

comme un vieil anti-poête bite-nique
beat and nick jusqu'à son dernier râle
imposteur je fus suis serai
je ne pense qu'à CA
qu'à la bête qu'à l'ange
Jekill and Hyde -
"toujours la bite aux abois !" dit-elle
on ne fait pas l'humanité :
il ne faut pas poéter plus haut que son cul
(à elle !)

"Sacré Coco ! surréaliste ou non
on peut pas dire toi
t'as pas vraiment les rouilles encagées" dit-elle

L'animaI

mais si je pense trop au sexe
paraît-il
je me réincarnerai en bête

c'est pas l'idéal l'animal !
pourtant quelques-uns
libres et non châtrés
ont de très belles vies
et j' ai même rencontré
des cabots heureux

On vit

On fait un trou on plante un arbre
on épluche des légumes on cuit un ragoût un pot au feu le soir on suggère à sa copine de nous sucer la pine
parfois on fait une prière - un peu d'émotion
on reçoit du courrier
on ne répond qu'à une ou deux lettres
on prend de l'Inatia 15 CH du gelsémium de l'oscillicocinum l'hiver est long la ville est grise le bitume pluvieux
on vit dit-on

on se dit: "comment ça va finir tout ça ? (si j'arrive jusqu'à la retraite elle sera si infime et dans quel état ?... Ies dents le cholestérol les yeux la rate le pancréas l'arthrose...) on se dit: "ah ! Si j'avais su. . . "Su quoi ? Ia jeunesse est passée la maturité aussi on dégringole doucement la morsure mais non! douce ment la mort sûre...
on vit dit-on


"...I'ennui de l'art, actuellement, réside dans le besoin de vouloir le public de son côté.
Avec la royauté c'était un peu mieux I'approbation d'une seule personne où d'un groupe restreint était suffisante....On me traitera de réactionnaire où de fasciste...mais je m'en fous: le public rend tout indifférent.
L'art n'a rien à voir avec la démocratie." (*)

Marcel Duchamp.


EUROPE 1994 : LA DEMOCRATIE EN ART,
FICTION OU RÉALITE?

L'art est-il compatible avec la démocratie? A l'approche des élections européennes c'est une question que l'on est en droit de se poser. Peut-on s'ouvrir à une industrie culturelle qui prône le populisme et le divertissement de masse comme règle absolue? Face à ce dictât d'audimat, les arts que l'on dit "majeurs" ne sont-ils pas devenus les otages d'un consensus qui préconise une nouvelle forme d'hégémonie? Doit-on par soucis d'ouverture élargir le cénacle des initiés? A l'heure des résurgences nationalistes et des dégradations de valeurs, l'art a-t-il encore à voir avec la démocratie? FLUXNEWS trimestriel d'art contemporain pose ouvertement la question à des personnalités du monde de l'art et de la politique. Toutes les réponses seront publiées dans le numéro de juillet 1994. Vous avez jusqu'au 25 Juin pour nous renvoyer vos réflexions. Merci !

Lino Polegato


cher ben
Je vous livre une information qui méritera peut-être d'être imprimée dans votre revue "L'OBJET DU DELIT" (à vous d'en juger) :

L'ADDC de Périgueux qui organise actuellement des manifestations autour de la pensée et de l'oeuvre de ROBERT FILLIOU a refusé que je vienne y tourner une séquence du film sur ALAIN GIBERTIE.

D'une certaine manière c'est bon signe : un an et demi après sa disparition, GIBERTIE reste un irrécupérable et continue de déranger. Les institutions craignent encore de le voir surgir avec son rire farceur et ses jugements implacables.

Moi, je continue mon film.

Bien amicalement Patrick REBEAUD


extrait d'un texte recu de ghislain mollet vieville texte qui ma plu parce que extreme limite de l'art

Descriptif de l'intervention "Mur blanc"
réalisée par Eric Maillet
et présentée par Ghislain Mollet-Viéville
du 31 mars au 28 avril 1990.

- Lieux d'intervention

L'appartement de Ghislain Mollet-Viéville;

Chacune des différentes galeries participant au vernissage commun des galeries du quartier Beaubourg pour le printemps 1990.

Donc, Eric Maillet intervient dans chacun des lieux participant au vernissage commun, même ceux qui ne le présentent pas.

- Descriptif

Le projet consiste à présenter en tant qu'&brkbar;uvre le concept de mur blanc.

Un mur blanc est chose très courante - pour ne pas dire obligatoire - dans un lieu de l'art ; et chacun des lieux investis pour cette intervention est bien sûr muni d'un ou plusieurs murs blancs. Il n'y a absolument aucune intervention matérielle dans les différents lieux investis; les murs restent tels qu'ils sont (même avec des&brkbar;uvres accrochées); à l'extrême, on peut envisager que les responsables des lieux n'ont pas à être au courant de cette utilisation de leur espace... (il va de soi que, quand cela est possible, il est intéressant de leur faire partager le projet pour qu'ils puissent en parler aux visiteurs, ou du moins les renvoyer à son auteur).

L'artiste ne fait qu'agréer les murs blancs de chacun de lieu qu'il investit. Mais l'&brkbar;uvre ici présentée ne consiste pas en la présentation d'objets, même readymade. Elle ne fait qu'utiliser des réalités bien matérielles pour s'en affranchir.

L'idée de mur blanc est indéterminée, et l'appellation sert à désigner une réalité polymorphe. Chacun des lieux comporte plusieurs murs blancs différents (chacun désigné par le terme unique de "mur blanc"), et dans une bien moindre mesure

Descriptif de l'intervention d'E. Maillet présentée par G. Mollet-Viéville en Mars-Avril 1990)


poeme de frontier que j'adore (extrait c'est beaucoup plus long)

Mercredi 28 juillet 1982,

18 heures 55. - Je traite deux problèmes à la fois

18 heures 56. - Il m'en reste cinq. Je continuerai demain.

18 heures 58. - Le problème maintenant, quand je vais me promener, c'est que je ne vais plus voir que ça

19 Heures. - Quand il y a des poteaux, c'est plus facile. Tu sais à quoi t'accrocher.. Bon, ben c'est la dernière. C'est bien dommage.

19 heures 06. - C'est effrayant ce truc-là. J'ai l'impression que ça va rester un moment là.

19 heures 07. - Je crois que c'est toi qui as ma pellicule.

19 heures 20. - J'avais fermé mes volets pour protéger mes diapos.

19 heures 32. - Le soleil a bien descendu depuis tout à l'heure.

19 heures 36. - Ah! dis donc ! Tu as vu ca ?

19 heures 38. - On est très près des champs quand même.

19 heures 40. - Le monde me sollicite de partout.

19 heures 42. - Elle devrait nous inviter, la coquine, depuis le temps, sur sa belle nappe verte!

19 heures 47. - J'aime assez bien la Brie, comme ça, l'été.

19 heures 48 - J'espère que le feu sera moins interminable que dans l'autre sens. Tu te rappelles, l'autre jour ?

19 heures 52. - Je deviendrais grossière dans des cas comme ca.

19 heures 54. - Dans la région, presque tout était fermé le mercredi.

19 heures 55. - Regarde les oiseaux sur les fils.

19 heures 58. - Il y a des couleurs magnifiques par là-bas.

19 heures 59. - Marie-Aude, fin de section ! Quartier des Mayettes.

20 heures 08. - Voilà un clocher qui ne me dit rien du tout.

20 heures 12. - A 400 mètres à droite. Si ça se trouve, ça va être fermé.

21 heures 04 - Oui, mais ça sera mystérieux.

21 heures 07.- Je pense que toutes ces dames ont un décolleté et moi un col roulé.

21 heures 36. - Mon auto n'est pas la plus luxueuse mais elle est la plus propre.

21 heures 39. - Au lieu d'avoir mis des bosses ils ont mis des creux.

21 heures 41. - Je me souviens, une fois ici, il y avait un brouillard extraordinaire .

ALAIN FRONTIER PORTRAITS D'UNE DAME (FICTION)


LE BRUIT, LA FUREUR, ET LES OCCASIONS A SAISIR

TU DOIS FAIRE TA PROPRE PROMOTION, MON PTIT LOUP, PERSONNE NE VA LA FAIRE POUR TOI. Regarde autour de toi : ils font tous la même chose, c'est la lutte pour la vie. Ce n'est pas que tu es incapable, c'est que tu es trop émotif. Dès qu'y a petit conflit, tu te figes et tu souris niaisement. Maman n'est pas là, elle ne va pas venir. Papa non plus. Là on est entre grandes personnes. Et pendant que tu rêvasses en pensant au bon vieux temps, il y en a qui souffrent à cause de l'immaturité de ta petite cervelle. Pauvre petite chose sensible, même les femmes pleurent moins que toi. En te voyant, elles sont en colère ! Qu'est-ce qu'il branle donc, ce petit pédé ? Et ce que femme veut... tu sais ça !

Victor Monroe


texte extrat de pinoncelli j'aime sa force sa verve

11 novembre 1994
Et l'art, donc ? eh bien, les vieux singes (Restany, Ragon, Otto Hahn, Teyssèdre, J.J. Lévêque, GassiotTalabot, Cabanne) se sont tus... ils n'étaient plus «contemporains», d'ailleurs, et se contentaient d'entretenir le vieux poêle-à-bois de leur jeunesse... Restany: Les Nouveaux Réalistes, Ragon: les abstraits, l'art brut, Gassiot-Talabot: la Figuration Narrative, Pierre Cabanne: ses «Entretiens» chez Pierre Belfond, retiré, lui aussi (et recyclé dans l'art funéraire, puisqu'il ne veut exposer que des artistes morts... et dont les femmes soient mortes aussi, si possible)... oui, son vieux Duchamp, à Cabanne, momifié et glorieux, à qui il ne faut surtout pas toucher, petits chenapans ! le conceptuel, le minimal («Plus» gémissait tous les jours ma concierge, désespérée) et les «Nouveaux» (Buren, Garouste, Combas, Martial Raysse, nouvelle manière figuration molle, Viallat) tiennent toujours le haut du pavé et les cimaises des nécropoles d'Etat désertées par les vivants (le public)... l'aboyeur de service (Ben) a sombré dans la paranoïa, l'ethnie, et le fromage de chèvre... les ancêtres (César, Arman, Balthus, Soulages, Louise Bourgeois) ont leur rétrospective bien méritée de fin de carrière, avant le grand saut dans l'oubli ou la postérité... Beaubourg est en démolition ou en réparation, on ne sait plus trop bien, et ça n'a guère d'importance... I'essentiel se passe ailleurs, désormais (je ne dis pas où, car tous les ploucs et les branchés s'y précipiteraient, et ça serait à nouveau la pétaudière comme avant, maman)... Beaubourg bourré d'amiante, en plus (c'est «l'amiante», hé ! hé !)... un faiseur (de happenings) -misérable et magnifique- a pissé dedans, puis cassé l'urinoir de Duchamp, au Carré d'Art de Nîmes, et tout le monde est devenu post-moderne, du coup... l'art contemporain va très mal, ils affirment... comme Dieu, il serait même mort, paraît-il... alors ont surgi les charognards (Baudrillard, Michaud, Clair, Dagen, Domecq, Heinich, Millet) de leur charnier natal (merci, José-Maria, ah!)... ils se sont aussitôt mis au travail sur le cadavre, s'engraissant sur son dos, faisant des livres et de l'argent avec sa chair (leur goût de la charogne authentifie leur caractère événementiel et dégueulasse)...

Cormplètement sourds à force de s'écouter parler, ils s'étranglent dans leurs gloses, ils s'étouffent dans leurs théories, les forts en thème, les forts en anathème, plutôt... chacun certain de savoir les raisons de son état cadavérique, au pauvre art contemporain, putaing ! mais, rassurez-vous, bonnes gens un peu effrayés par tout ce cirque... ce cadavre ne peut mourir... cette charogne, soit-disant, c'est la vie, en fait, camarade, la vie, si... et la vie est increvable, vous savez bien, -hourra !- même si on n'en sort pas vivant.

Pierre Pinoncelli 1998


poeme de lauren chabott que je trouve vrai dur et bon

Papa est mort dans la nuit à quatre heures dans sa 93ème année.

Ses yeux se sont fermés sur sa grande sérénité,
Ses mains offertes ont laissé enfin partir sa vie.

Dès l'aube la neige s'est mise à tomber doucement.
Tout est blanc maintenant comme un grand voile.

Laurent Chabot.
le 02/12/1997.


C'est bon. C'est presque bon. C'est ça. c'est à peu près bon, c'est presque ça, ça fera l'affaire, ce sera suffisant, c'est bon, c'est même aller, c'est bien, ce n'est pas bien vraiment, mais c'est pas mal, c'est même bon, ce n'est pas bien bien, mais c'est bon, c'est presque ça, ce n'est pas vraiment mauvais, c'est disons à moitié bien, ce n'est pas mauvais, même si ce n'est pas entièrement bon, c'est entre bon et mauvais, ce n'est pas bon, c'est entre bon et pas bon, ce n'est pas mauvais, c'est comme on le voit, c'est à moitié, ce n'est pas totalement mauvais et ce n'est pas entièrement bon, c'est tel quel, c'est ça se voit, on le voit, c'est bien, ce n'est pas mauvais, ce n'est pas désagréable, on le voit, ce n'est pas désagréable, ce n'est pas vraiment mauvais, c'est entre agréable et pas bon, c'est à peu près à moitié d'agréable et de désagréable, ça ne peut pas être totalement mauvais même si ce n'est pas vraiment bon.


Texte de survival que j'ai aimé

Tourism need not be a destructive force for tribal peoples but unfortunately it usually is: any tourism which violates tribal peoples' rights should be opposed. Tourism must be subject to the decisions made by tribal peoples themselves.


Texte reçu de Jean Michel Vigneron (extrait)

Ainsi , aujourd'hui , si on se contente de dire que l'art est en crise parce que les gens ont trop spéculé, on cache au public l'essentiel du phénomène. En effet, comme à la fin du XIXème siècle , nous sommes en train de vivre un changement dans les critères d'appréciation de l'art.
S'il est vrai que l'académie des beaux arts n'a pas le rôle de censeur qu'elle avait au XIXème, nous connaissons un autre type d'académie comprenant les conservateurs, les galeristes et les collectionneurs privés . Ceux-ci , regroupés en véritable mafia de l'art, sont les mêmes gardiens du bon goût du XIXème .
De surcroît, comme ils vivent , malgré eux , un changement brutal dans les critères d'appréciation des artistes , pris de panique, ils essayent d'écouler leurs stocks avant que le grand public ne s'en aperçoive . Ils ont compris que les artistes de demain ne sont pas ceux qu'on croit . Et si Ben est célèbre aujourd'hui , sa production est telle qu'il peut fournir tous les musées du monde . Sera-t-il encore exposé dans vingt ans ? La question semble avoir déjà trouvé sa réponse : Non !
Ainsi il est intéressant de se promener au Drouot-Montaigne ou Drouot-Richelieu , pour voir ce flot de toiles mineures que les commissaires priseurs , complices des galeristes , essayent d'écouler vers un public néophyte , qui croit en achetant de l'art être un mécène éclaire.

A titre d'exemple je comparerai trois ventes : maître Perrin à Versailles le 29 mars l992 , maître Cornette de St Cyr le 27 octobre 1992 et maître Charbonneaux le 18 octobre 1992.
A ma grande surprise , deux oeuvres , vendues le 29 mars 1992 à Versailles se retrouvent , l'une chez maître Cornette de St Cyr , l'autre chez maître Charbonneaux , en vente publique huit mois aprés :
- Un Christo , "packed flowers" 1966 vendu 90 000 ff le 29/03/92 ne fait que 50000 ff le 18/10/92.
- Un Pignon de grand format datant de 1957 , expose au MNAM de Paris , vendu 80 000 ff le 29/03/92 s'essouffle sous le marteau du commissaire priseur à 82000ff le 27/10/92.
En temps normal , en 8 mois , ces oeuvres auraient dû prendre de la valeur . Au contraire , non seulement elles en ont perdu mais encore elles ne trouvent plus personne pour les acheter...


Sur les avant-gardes

AVANT GARDE : à force d'avoir été employé à tort et à travers, ce couple de mots ne veut certainement plus dire grand chose aujourd'hui si toutefois il fût jamais clair. Pour moi, la notion d'avant garde renvoie cependant à une constante de l'histoire de l'art depuis la fin du XlXe siècle, sans oublier sa signification militaire. La constance et le renouvellement des avant gardes furent fondés sur une volonté d'interroger, de questionner, voire une volonté de déstabiliser, dans le système, I'art dominant (comme on dit la classe dominante) au pouvoir, qui, comme on le sait, tente d'empêcher toute nouveauté mettant son statut en question. L'avant garde n'a d'ailleurs de raison d'être que si, en face d'elle existe une résistance quelconque.

Résistance du système contre les interrogations le mettant en question. Défense de ce système par ceux qui en détiennent le pouvoir et veulent le garder. La volonté des avant gardes de briser ce pouvoir peut être l'&brkbar;uvre d'un petit nombre d'individus dispersés à travers le monde comme celle d'un groupe précis à un moment défini et dans un lieu spécifique. Ce qui demeure commun à tout ce qu'on peut (tout ce qu'on a pu) appeler avant garde jusqu'à aujourd'hui, c'est cette volonté de déstabiliser, de ne pas accepter de statu quo. Force est de dire que cette volonté semble pour le moins s'être amenuisée aujourd'hui pour ne pas dire qu'elle a disparu de l'horizon depuis une dizaine d'années. Il n'est d'ail leurs pas si étonnant aujourd'hui de voir clamer avec un certain soulagement par le pouvoir en place, que l'avant garde n'existe plus. En fait, ce qu'on appelle l'avant garde était devenue, avant son actuelle disparition, non plus un groupe en pointe annonçant les changements à venir, mais bien une arme aux mains de la bourgeoisie, qui montrait ainsi qu'elle était capable de se renouveler sans cesse. Evidemment, ce qui s'est alors appelé avant garde (à peu près toutes les écoles qui se sont succédées depuis la seconde guerre mondiale) avait bien plus à faire avec les phénomènes de mode qu'avec ceux de la contestation contre un système. Plus grave encore, lorsqu'on parle d'avant garde est la notion que recouvrent ces deux mots. En effet, ces deux mots sous-tendent une progression de l'art se développant en ligne droite, conduit par quelques leaders suivis par la masse. C'est d'une part croire à une linéarité de l'histoire et immédiatement oublier ou même éliminer la multiplicité des recherches et des propositions en faveur d'une seule qui serait par définition devant les autres. Cette vue de I'histoire qu'on peut définir de typiquement bourgeoise me semble évidement complètement erronée. Mais s'il n'y a plus d'avant garde véritable, qui contestera alors le pouvoir ? Personne bien entendu, et celui-ci pourra se maintenir un peu plus longtemps. Il est d'ailleurs intéressant de voir que ce désir de voir la fin des avant gardes est proclamé par ceux là mêmes qui, en les défendant il y a une quinzaine d'années, accédèrent au pouvoir (à un certain pouvoir).

Jolie pirouette en vérité, pour tenter de se maintenir au pouvoir. Double pirouette même et qui sous-entend, en affirmant le contraire, que dire que l'avant-garde est une notion sans intérêt et dépassée prouve en même temps, que soutenir un tel raisonnement, c'est en fait et aujourd'hui, être à l'avant garde... Et sous cet artifice qui réconcilie tant de gens opposés mais unis dans et pour un système régressif, pullulent aujourd'hui les retours aux pratiques les plus éculées ou même aux démarquages les plus éhontés sous forme de peintures abstraites.

Daniel Buren Autour des "Ponctuations".

Retour