BEN THEORICIEN (1960-1974)

1960 Manifeste
1963 Théâtre et Nouveau
1965 Qu'est-ce que le nouveau en art ?
1965 Tract
1965 Questions sur l'art
1966 Pour faire du nouveau après Dada
1966 Lettre expédiée à 100 artistes ratés
1966 Il faut que la musique change
1966Tout est musique, plus de musique (tract)
1966 L'art est inutile, plus d'art
1966 Happening et Event
1967 Ben abandonne l'Art
1967 Tract
1968 Pour une politique de la créativité
1968 Ma position envers l'art
1968 Pour changer l'homme, il faut détruire le moi
1969 Pour conclure
1969 Mon actuelle position en Art
1969 Propositions pour changer l'Ego
1971 Notes pour un art subjectif
1972 L'avant-garde en France
1973 Position et programme pour une galerie
1973 Non-art face à la peinture
1973 Interview avec Irmeline Lebeer
1973 Interview avec Annie
1974 Ben contre la peinture

1960

Certains des premiers textes théoriques de Ben peuvent apparaître parfois naïfs. Ils ont quand même été publiés au complet parce qu'ils nous éclairent sur le processus de sa pensée.
On peut voir au travers d'eux la progression auto-didactique de ses idées (le nouveau, la vérité, le tout).
Ils sont importants parce que de tout temps la pratique de Ben, toiles, objets, sculptures, gestes est la conséquence directe de ses positions théoriques.
En fait, l'œuvre physique de Ben n'est là que pour démontrer, appuyer sa théorie.
Ben dit : "Mon travail c'est ce que je pense de l'art", même si parfois sa peinture déborde sa pensée.

MANIFESTE

Par curiosité et par affectation (désir de paraître), on cherche à savoir ce qu'est le beau.
Dans ma recherche, j'ai procédé par questions (une question amène un vide qu'il faut combler), auxquelles j'ai très mal répondu.
Je tiens donc à poursuivre, à corriger, à recommencer cet essai et ses conclusions.
Je reste inquiet et dans le doute.

Qui crée la beauté ?

L'homme crée la beauté dans son esprit, par nécessité d'existence et il l'explique en lui attribuant des valeurs esthétiques.

Qu'est-ce que la beauté ?

Le sens de la beauté pour l'homme est l'opinion, le jugement et la conception qui le lient sentimentalement (rapport de plaisir) à un objet, une forme.

Pourquoi l'homme crée-t-il ce lien entre lui et la forme ?

Il me semble que l'homme a, par essence, des besoins fondamentaux qu'on peut considérer axiomatiques. Ces besoins économiques (manger, dormir etc.) de connaissance, font partie de son Ego qui est un moteur perpétuel d'insatisfaction (voir biologie). L'art se rattache aux besoins amoureux, de connaissances, et économiques. D'ailleurs l'ego n'est pas seul, il existe en lui la conscience des autres et sa conscience à lui est faite de cette conscience des autres, toutes ses activités sont en relation avec le désir de paraître, cet aspect du moi est important nous y reviendrons.

Si la beauté est l'opinion qu'a l'individu d'une forme, comment se présente cette opinion ?

Pour reconnaître, pour avoir conscience d'une valeur (ex. : le beau) il faut avoir conscience de son contraire.
Il n'existe pas dans l'esprit de l'homme de valeur sans point d'appui dans la réalité (échelle de valeurs de cette valeur).
Un objet est grand par rapport au petit Un objet est froid par rapport au chaud Un objet est dur par rapport au mou Un objet est beau par rapport au laid etc.
Ainsi pour toute valeur, chaque esprit a en lui une échelle de nuances d'où, dès que l'individu voit la forme, il se produit dans son esprit un processus de comparaison qui aboutit à un jugement (la forme est belle) ou (la forme n'est pas belle) ou (rien du tout). S'il considère la forme belle c'est que le rapport entre la forme et l'échelle des valeurs (la conception) de l'individu est harmonieux.

Est-ce que cette conception du beau propre à chaque individu, est déterminée dans le temps et l'espace ?

Oui, absolument tout dans l'univers aide à déterminer cette conception, le climat, l'âge, l'éducation, le milieu et la forme. Donc l'individu choisit obligatoirement et objectivement, dans l'illusion forcée du libre choix.

Mais qu'est-ce que la forme ?

La forme seule n'est ni belle, ni laide. Il semble qu'elle existe objectivement et inconsciemment dans le temps et dans l'espace (à condition que le temps et l'espace existent en dehors de l'esprit de l'homme). Elle existe sans se préoccuper de l'homme qui, lui aussi, ne se doute pas de son existence avant de l'avoir vue. Cette forme peut être création de l'individu ou de la nature.

Entre toutes ces conceptions du beau, existe-t-il une échelle de valeurs?

Si chacun a sa conception du beau, par essence il croit qu'il a raison. Pour discerner laquelle de toutes ces conceptions est la meilleure (à condition que cela soit possible), il faudrait une autre échelle de valeurs, et il ne s'agirait pas d'une échelle affective mais de connaissance chronologique.
Aussi entre deux œuvres qui ont une parfaite ressemblance, la plus valable serait semble-t-il celle qui a été faite la première, car c'est elle qui contient l'élément créateur à partir duquel a été faite la seconde. Même si les valeurs de grâce, de force, de symétrie que l'on trouve dans la première se retrouvent dans la seconde, celle-ci, dans le temps, est moins valable car elle ne contient pas l'élément créateur, elle n'est qu'un pastiche. On conclut:
Si le spectateur ignore les dates de création et l'histoire des deux œuvres, il est dans l'impossibilité de trouver le beau (historique). Toute histoire de l'art se résume en fait, à un choix d'œuvres personnelles sauf, pour les époques où le manque d'informations sur les créateurs ne permettait pas de les distinguer. Mais cela est-il juste?
Chaque conception étant déterminée dans le temps et dans l'espace différemment, jamais deux conceptions ne sont identiques. L'expérience de tous les jours le prouve. Ce qui plaît à X déplait à Y. Il semble à priori que tout jugement esthétique qui se veut absolu, c'est-à-dire propre à tous les hommes soit nul.

Cette échelle de valeur du beau qu'est la conception du beau de l'individu change-t-elle?

Oui, car l'individu et l'œuvre se situent dans le temps et dans l'espace et chaque fois qu'il y a processus de comparaison du seul fa4t qu'il se produit, il y a apport de connaissance nouvelle, et les données de cette échelle de valeur se transforment automatiquement.

Est-ce qu'il y a plusieurs ou une seule conception du beau?
Est-ce que sans exception tous les hommes ont une conscience (conception) du beau ?

Oui, il ne s'agit pas obligatoirement de connaissance historique du beau, mais tout homme choisit toujours affectivement entre deux formes. Ce choix c'est sa conception affective du beau.

L'homme est-il le seul être vivant à avoir un besoin esthétique ?

Il semble que l'homo sapiens n'ayant pas pu à ce jour réussir à s'intégrer à une autre conscience que la sienne, le problème reste posé. L'imagination peut nous faire croire à des fourmis créatrices mais l'imagination, ici, est une forme de création et elle n'a pas droit à la parole sans apport de preuves physiques.

Est-ce qu'il existe un beau absolu?

La conception du beau de chaque individu vaut celle d'un autre, le beau existe dans toutes les formes. Pourtant l'histoire de l'art ne nous montre pas toutes les formes, mais un choix de celles-ci: il y a donc une conception historique des œuvres qui trie et élimine dans le temps, des œuvres pour en garder d'autres. Cette entité (l'histoire de l'art) possède-t-elle le secret du beau absolu, absolu à tous les hommes et dans tous les temps? Ou est-ce que l'histoire de l'art change aussi dans le temps de conceptions, de formes et d'idées? OUI, car il y a plusieurs histoires de l'art et plusieurs histoires des histoires de l'art (à développer).

Est-ce valable s'il n'y a pas de connaissance historique?
(L'argument X est beau parce qu'il me plait.)

La beauté étant le lien affectif qui lie l'individu à l'objet, si ce lien existe pour l'individu, la forme lui semble belle ; ensuite la connaissance historique garde ou transforme le concept de l'individu pour qu'il prenne conscience de l'existence d'un manque d'authenticité dans la forme. Libre à lui de changer ensuite sa conception de la beauté de l'objet.

Pourquoi une œuvre personnelle est-elle pour l'individu qui la sait personnelle, plus valable que son pastiche ?

Parce que l'homme est son créateur et que par essence l'homme aime la valeur de création qui est celle de tous les âges. Être pour l'individu, c'est être en face et par rapport aux autres.

Quels sont les rapports entre l'art et la morale ?

La vie humaine est-elle ou non un élément sacré, c'est-à-dire la vie humaine en face de l'action humaine, quelle importance a jusqu'où l'action humaine doit-elle respecter la vie humaine combien vaut la vie aux yeux des hommes ? La construction des pyramides fut-elle une erreur ? Une œuvre de Sade peut-elle être publiée ? Les fresques de Siqueiros et Rivera sont-elles valables ? Il y a plusieurs morales ; elles se veulent toutes humaines et elles le sont par définition. Mais de la morale de Sade à la morale chrétienne il y a un grand écart et chaque morale définit une action ainsi qu'un art qu'elle influence et détermine dans les limites de son possible.
Il est faux de croire que la morale bourgeoise occidentale, ou aucune autre, n'accepte la liberté absolue dans la recherche pour les arts. La morale tend à emprisonner dans un système, tout art. Elle se sert alors de l'art pour préserver ses valeurs (ex : christianisme avec le Gréco et communisme avec Rivera).
La valeur morale d'une création dépend de la conception morale de celui qui la juge (et pour le créateur, de sa propre morale). Mais une vraie morale humaine devrait permettre à l'homme, toutes transformations ; d'être tout et rien.

Quels sont les rapports entre le beau et l'utile ?

N'importe quoi peut être beau puisque le beau est une valeur de l'esprit.
N'importe quoi peut être utile puisque l'utile est dans l'esprit. Cela dépend d'où l'individu se place sur l'échelle de la conscience de l'utilité.
Si c'est par rapport à la cuisine une casserole est utile, un arrosoir ne l'est pas, si c'est par rapport à une société communiste ou chrétienne qui définissent leur but l'art qui n'aide pas ou gêne à l'accomplissement de ce but est inutile.
Ainsi, l'idée d'art pour l'art et l'art pour l'homme n'a pas un sens absolu mais subjectif propre à chaque individu.
Le beau est créé par l'individu pour l'individu. Un art désintéressé absolu n'existe pas.
L'art est une activité à la recherche de satisfaction, donc égoïste et de ce fait utile à l'ego. Ensuite puisque tout est dans l'évolution tout sert à l'évolution. Tout lui est utile, il ne reste plus qu'à savoir à quoi servent la vie, l'ego et l'évolution.

Comment faut-il luger un artiste abstrait ?

Par rapport au degré de personnalité que contient son œuvre. Pour cela, il faut comparer cette personnalité à toutes les autres ; cela demande obligatoirement une connaissance historique des créations abstraites. Sinon, on pourrait donner à un pastiche de Mondrian, la valeur de création nouvelle si on ignore l'existence Mondrian.

Le tableau de chevalet va-t-il disparaître d'ici cent ans ?

Cela dépend an grande partie des événements économiques, politiques et sociaux. Mais d'ores et déjà l'architecture contemporaine, la télévision, la photographie, la sculpture, la publicité et l'épuisement de la création sur surface plane, dessinent sa disparition. Le tableau de chevalet passera probablement de la réalité quotidienne à l'antiquité et à la collection.

Qu'est-ce que le talent ?

Le talent, c'est le pouvoir (technique) de répéter une œuvre que l'on a créée (soi ou quelqu'un d'autre).

Qu'est-ce que la personnalité ?

C'est un non-conformisme du présent par rapport au passé, dans l'individu.

Est-ce qu'une œuvre peinte doit être ressemblante à un sujet pour être beau?

Non, l'histoire de l'art a prouvé que le critère "valeur de la ressemblance obligatoire" est bien mort ; pourtant bien qu'une œuvre peinte ne doive pas ressembler obligatoirement à un sujet (objet), elle ressemble souvent malgré elle, à un élément de la nature, puisque, la nature contient toutes les formes. Il y a aussi le beau intentionnellement ressemblant qui n'est d'ailleurs que momentanément périmé.

Est-ce qu'une œuvre doit avoir certaines valeurs d'harmonies presque mathématiques pour être belle ?

Non, elle peut être belle à cause de ces valeurs qui représentent la personnalité de l'époque, ou de ses créateurs (Singier) mais elle ne doit pas obligatoirement les posséder.

Est-ce que une œuvre doit être obligatoirement au service d'un idéal pour être belle ?

Non, une toile avec un sens révolutionnaire, religieux, moral, ou social, peut-être belle, mais pour cela elle ne doit pas être obligatoirement au service d'un de ces idéaux, par ailleurs, l'œuvre est toujours engagée au service d'une idée car, par essence elle est (communication) vis-à-vis des autres ou vis-à-vis de soi-même. Elle dit, regardez-moi, je suis belle car je suis personnelle, sociale, douce, révolutionnaire, etc...

Pourquoi la reproduction d'une œuvre ne vaut-elle pas l'œuvre ?

Parce que l'homme donne par essence de l'importance à l'individuel. Parce que l'homme, insatisfait, en " répétant" ne calme pas son insatisfaction d'exister aux yeux des autres. Parce que, dans la mort, il n'y a pas de nouveau.

Qu'est-ce que l'histoire de l'art ?

L'histoire de l'art devrait être la connaissance (mémoire chronologique) de toutes les créations qui se veulent ou sont, considérées à tort ou à raison belles, depuis le début des temps jusqu'à notre époque sans préjugé de races, de pays, de degrés d'industrialisation etc. Mais une énumération d'œuvres n'est pas une histoire de l'art.
Il s'agirait aussi, de placer ces œuvres dans leur entourage sociologique économique etc., puis de placer objectivement l'arbitrage du choix de ces œuvres dans le même entourage, c'est-à-dire, montrer tous les courants et sous-courants de création d'un siècle, ainsi que tous les publics de ces courants. L'histoire de l'art ne doit pas nous dicter ce qui est beau, ni avoir d'opinion surtout celle de la personnalité ce qui n'est pas le cas.

Est-ce que seule la postérité peut juger d'une œuvre et décider si sa personnalité est une création valable ?

La postérité est une notion abstraite dans laquelle interviennent directement beaucoup d'éléments: la morale, l'histoire des événements politiques, sociologiques et économiques. L'histoire de l'art est le produit déterminé de la société au même titre que l'art. La postérité étant tout, vous aussi, en jugeant une œuvre, êtes la postérité.
Mais pour savoir si la postérité peut juger, il faut savoir quelle conception de l'histoire de l'art elle représente, sans oublier que l'homme remet toujours tout en question.

Quels sont les rapports entre l'art et l'absurde ?

Objectivement, l'absurde existe dans l'art au même titre qu'il existe dans toutes les activités humaines.
L'art paraît absurde devant la mort, la conception du déterminisme, l'évolution, l'univers et l'ignorance, Mais la logique veut que tout soit absurde et l'art aussi, ou que rien ne soit absurde ou tout nécessaire donc l'art aussi. Par ailleurs, dans la peinture, la poésie, la sculpture etc., l'art exprime souvent l'absurde par la recherche de la création à tout prix, et engendre de ce fait, une avalanche de non-sens dans l'esprit.
Le sort de l'homme est lié à celui de l'absurde puisqu'il est une des formes de son esprit.

Quel est le critère de l'histoire de l'art ?

C'est le degré de création personnelle par rapport au passé.

La métamorphose dans le temps est-elle créative ?

C'est-à-dire: une fresque Egyptienne qui aurait perdu de sa couleur dans le temps, aurait-elle pu s'embellir de ce fait ? Autrement dit: le hasard et le temps sont-ils des créateurs inconscients ? non, l'homme reste toujours le seul créateur car, même si le hasard a, objectivement, changé en fait l'œuvre, l'homme spectateur, en découvrant et acceptant cette transformation redevient son créateur.

Qu'est-ce que l'art en tant qu'activité ?

L'artiste créateur est dans la Vie et il remplit cette Vie d'activité. Il essaie de remplacer la Vie (vide) par l'activité (plein).

Est-ce que l'art d'avant garde de Klein et de certains autres est du sous-Surréalisme ?

Le Surréalisme était une prise de position devant l'uniformité et seulement cela, l'art de Klein est à la fois cette révolte, mais aussi ne recherche sérieuse et sereine du beau.
Ce qui différencie Klein des surréalistes est l'intention.

Peut-il y avoir un inesthétisme dans l'art ?

Non, toutes les recherches voulues contre la recherche de la beauté en sont une.

Est-ce que l'on peut atteindre l'absolu en art ? (dans l'œuvre)

L'art de Klein recherche l'absolu, il expose le vide, l'eau et le feu, mais il me semble, que l'absolu ne peut être atteint que dans la mort, qui contient tout et rien.

Peut-on analyser la personnalité d'une œuvre ?

L'homme ressent la beauté qu'il explique en la divisant en attributs (valeurs). Ainsi un tableau plaira pour sa grâce, sa légèreté, sa symétrie. Là où les critiques s'égarent c'est lorsqu'ils veulent ramener la beauté à ces valeurs et ensuite définir la beauté uniquement par ces valeurs. Ainsi, pour certains esthéticiens, le beau se résumera à retrouver ces valeurs, d'où, destruction de l'idée de création personnelle qui, elle, au contraire, en apporte de nouvelles. Le personnel dans une œuvre est donc le nouveau.

Mais qu'est-ce que le nouveau ?

Le nouveau, avant qu'il existe objectivement dans l'œuvre en tant que valeur représentative de la personnalité de son créateur, appartient au domaine de l'inconnu. Il n'était donc, ni beau, ni laid. Dés qu'il existe, le nouveau devient élément de transformation. Ce nouveau ne peut être décelé facilement dans une œuvre, car il se cache dans le non-admis, dans l'affreux, dans le vieux, dans le scandale etc. Seul le temps peut changer le scandale ou l'affreux en personnalité admise.
Ce qui différencie deux événements c'est le nouveau dans la conscience de l'individu, il est le temps subjectif.
Le nouveau dans l'art n'est jamais une création spontanée, il est comme l'imagination, mémoire disparate réunie, fait de vieux matériaux. Le nouveau c'est un puzzle qui se refait chaque fois autrement avec les mêmes morceaux sur un temps différent (à développer).

Y a-t-il des limites à la création personnelle de l'individu?

Pour l'individu, tout est art dans la proportion qu'il peut la présenter et la faire accepter comme son œuvre.

Une forme de la nature, peut-elle être objet d'art ?

Oui, à condition que l'être créateur puisse s'identifier avec. Ainsi, un paysage ne peut être considéré comme œuvre d'art puisqu'il est impossible à l'artiste de la posséder, exception faite s'il est le premier à identifier ce paysage à lui-même.

La détermination sociale d'un individu joue-t-elle beaucoup dans le résultat de ses créations?

Dans le cadre de la recherche consciente ou inconsciente du beau, nous partons tous avec des données de milieux, de classes différentes L'un est bricoleur, il travaille les moteurs.
L'autre est fonctionnaire intellectuel, il ne peut tracer un trait, mais il a des idées.
Le troisième a un lourd passé d'art décoratif où on lui a enseigné la technique du pinceau.
Ils ont en commun, le désir d'exister en faisant ce qu'ils croient beau. Le premier naturellement sera porté à créer des appareils à moteurs esthétiques.
Le second cherchera "un nouveau" qui ne demande pas une technique du pinceau ; il sera peut-être un créateur naïf. Le dernier se servira de sa technique pour trouver du nouveau dans la figuration.
Les trois créateurs et leurs créations sont valables à condition qu'elles apportent du nouveau.

Quels sont les rapports entre le créateur et lui-même ?

Le créateur qui est-il ? Ce qu'il veut être, ce que l'on croit qu'il est, ce qu'il croit être ou autre chose ? fait-il semblant d'être autre chose que ce qu'il voudrait être aux yeux des autres ?
Il vit dans le temps et dans l'espace qui le limitent, et il ne peut avec son esprit s'occuper de deux activités intellectuelles à la fois. Cela limite dans le temps ses rapports avec lui-même, son œuvre, et les autres. Pourtant chaque individu, créateur, établit un déséquilibre précaire, entre, ce qu'il pense lui-même de son œuvre, et ce que les autres pensent d'après lui. Son œuvre existe par rapport à ce déséquilibre.

L'existence de l'histoire de l'art comme elle est n'a f-elle pas imposé à chaque artiste la recherche du nouveau ?

Oui, il est indiscutable que jusqu'à ce jour, l'histoire de l'art ayant toujours refusé dans son sein les œuvres pastiches sans personnalité, a influencé l'artiste conscient à ne pas en faire.

Quels sont les rapports entre l'art et la technique ?

Jusqu'à ce jour l'art seul sans technique n'existait pas. Parfois même la technique semble être tout (Ex: technique de la matière dans la peinture contemporaine). Mais ce n'est qu'une querelle de mots, il n'y a pas de technique sans œuvre et pas d'œuvre sans technique, sauf pour l'avant-garde de l'absolu qui expose "Rien".

Dans le cas d'un artiste qui a acquis sa personnalité est-ce que l'on doit tendre à la détruire pour rejoindre le collectif ?

Non, il reste toujours lui-même, mais il peut par réaction au culte de la personnalité essayer de rejoindre le collectif.

Est-ce que toute personnalité est consciente d'être personnalité ?

Non, il peut y avoir création inconsciente de personnalité, c'est-à-dire, création naïve. Le créateur alors pense uniquement à faire ce qu'il croit beau sans se placer dans l'arène des créateurs à la recherche d'une personnalité à tout prix. Il ne rejettera pas une forme d'art qu'il trouve belle, même si elle ne lui est pas personnelle et c'est peut-être en essayant maladroitement de la reproduire qu'il fera une œuvre d'art nouvelle.
L'art naïf est donc comme l'art brut une œuvre de la nature, il lui faut un découvreur.
Toute création est, ou fut, forme nouvelle mais toute création, n'est pas le résultat de recherche de formes nouvelles.

La recherche de la personnalité est-elle le propre de tous les artistes contemporains ?

Je crois qu'elle est plus ou moins, consciemment ou inconsciemment, le propre de tous les artistes. Mais aujourd'hui, elle est devenue la préoccupation essentielle de tous les créateurs dits d'avant-garde, car l'avant-garde voudrait être opinion de beauté avant que cette opinion soit beauté pour la majorité. Elle met volontairement entre elle et cette majorité le plus d'écart possible ; pourtant elle existe (nouvelle) par rapport à la beauté.

Quels sont les rapports entre l'art et l'expression ?

Toute action est une forme d'expression.

Quels sont les rapports entre la société et l'art ?

Vu de haut, l'art et la société font un, comme " tout" fait "un" mais l'homme divise par essence Donc il nous faut dire que l'art est infiniment lié à la société car ils se déterminent mutuellement. Les rapports entre la société et l'art sont innombrables et doivent faire l'objet d'une étude sérieuse.

La copie et le pastiche peuvent-ils être beaux ?

Oui, dans plusieurs cas :
1) Objectivement, l'individu qui ignore que c'est une copie, lui donne dans son esprit la valeur d'une création neuve. Dans ce cas, seule une éducation historique peut rétablir l'équilibre.
2) Sachant qu'il s'agit d'une copie, on peut la juger belle par rapport à d'autres copies moins réussies.
3) L'évolution de la conscience esthétique qui est subjective de l'individu peut tendre un jour à détruire cette recherche de l'originalité et rien ne nous dit que nous n'assisterons pas à un arrêt de toute création neuve en faveur de la copie. Hélas là aussi ce sera du nouveau.

Quelle est la différence entre un pastiche et une création originale ?

Le premier tient plutôt de la répétition que de l'invention.

Peut-on prévoir une période de pastiche ?

Qui, à condition que des événements politiques (guerres) détruisent notre civilisation mécanique et industrielle. Alors à condition que l'être humain survivant ne soit pas biologiquement transformé, il essaiera peut-être de retrouver ce qu'il a perdu de ses anciennes valeurs (mais ce ne sera jamais pareil).

Comment être certain qu'un pastiche ne se soit pas glissé dans l'histoire de l'art ?

Cela a très bien pu se passer. Il suffit qu'il y ait eu d'abord création de ce pastiche. Ensuite, dû à une ignorance circonstancielle de l'original et de son créateur, acceptation de ce pastiche comme représentant la véritable création. Pour démasquer ce faux, un seul moyen, connaître le plus objectivement possible les faits.

Pourquoi 99% des artistes sont-ils des pasticheurs ?

1) Parce qu'ils n'espèrent pas devenir des génies.
2) Parce qu'ils n'ont pas compris le sens de l'histoire de l'art.
3) Parce qu'ils n'ont pas tous la même conception de l'histoire de l'art.
4) Parce que leur conception du beau est bloquée.

Quelles sont pour l'individu ses possibilités de créations ?

L'individu, nous l'avons déjà dit, est déterminé physiquement, par tout l'univers en mouvement. Il ne peut créer que ce qu'il est déterminé de créer. Ainsi, la liberté dans la création de l'artiste créateur intact. Par création, en ce moment j'entends, tout est une illusion, mais une illusion de liberté forcée qui laisse le problème ce que l'artiste pense par beau, et non pas seulement, ce que l'histoire de l'art c gardé comme beau. Une vraie histoire de l'art devrait être l'accumulation (connaissance) chronologique de toutes les créations sans exception et sans choix esthétique ni moral, de toutes les parties, races et nations du monde. Ce qui n'est pas le cas.
Ainsi l'artiste vit dans le temps et dans l'espace, entouré d'événements artistiques nouveaux, et chaque événement l'oblige à reconsidérer son échelle de valeurs du beau, cela va de soi, car chaque processus de comparaison apporte un élément novateur. Il veut, par rapport à sa conscience de l'histoire de l'art, devant son idée de valeur des autres, exister à ses yeux en tant qu'individu créateur et non pas en tant qu exécutant ou spectateur. Pour cela, il créera et si son esprit contient un absolu (ex Rubens) il sera heureux et confiant de faire du sous-Rubens.

Quels sont les rapports entre l'avant-garde et les créateurs ?

L'avant-garde voudrait être opinion de beauté avant que cette opinion soit beauté pour la majorité, elle se donne le devoir d'être en avance sur l'histoire.
Ainsi, elle prend toujours position pour le nouveau et la personnalité. Elle découvre ce nouveau lorsque la majorité en est scandalisée. Elle met volontairement entre elle et la majorité le plus d'écart d'opinion possible, pourtant, elle a besoin de cette majorité pour exister. Par ailleurs, l'art dit d'avant-garde n'est pas plus beau qu'un autre pris dans le passé, car lui aussi fut, à son époque, création nouvelle. Il semble aussi que pour qu'un art d'avant garde soit définitivement accepté comme création valable il lui faut être accepté un jour par cette majorité qui le rejette. Il se peut qu'un art dit d'avant-garde soit trop nouveau et se perde, ou pas assez nouveau et se perde également. Puisque tous les esthéticiens sont d'accord pour accorder à la "personnalité" une place prépondérante, chacun définit les limites de cette "personnalité" plus ou moins loin dans le domaine du nouveau, et rejette dans la farce ou le conservatisme ce qui serait du nouveau pour un autre.
Les degrés du nouveau dans l'art sont infimes, car le nouveau est relatif. On peut être simplement différent en possédant un style à sol dans une école, mais on peut aussi être novateur complet en découvrant une forme nouvelle qui engendrera une école nouvelle.

Peut-on prévoir les formes diverses de l'art dans l'avenir ?

La création découle autant d'une façon de faire (action) que d'une façon de penser (idée).
L'action amène avec le hasard, des découvertes nouvelles qui engendrent une pensée nouvelle.
La pensée dialectique (de déduction) se trompera sûrement n'ayant pas la connaissance des actions (événements) qui changeront cette pensée ; en d'autres mots, trop de facteurs extérieurs empêchent le cerveau humain de découvrir ce déterminisme. Avec le lavage d'un cerveau électronique, le problème pourra peut-être être résolu. D'ores et déjà, grâce au critère de la personnalité à tout prix, on peut essayer d'anticiper les grandes lignes d'un art nouveau.
En ce moment, les créateurs se battent pour conquérir et posséder ce nouveau. La recherche du beau est divisée en technique, sculpture, peinture, poésie... puis chacun de ces groupes s'est divisé en sous-groupes, avec son public abstrait, figuratif, informel... Chaque sous-groupe a son avant-garde. Mais parmi eux il y a aussi des degrés d'apport de créations nouvelles. La figuration dans la peinture n'a pas obligatoirement épuisé ses ressources (un artiste figuratif vraiment personnel aurait le mérite d'avoir découvert du nouveau dans un champ déjà labouré). Les formes abstraites sur surface plane ont été, elles aussi, presque toutes conquises par Hartung (le coup de balai), Mondrian (le carré) Soulages, Poliakoff, Laubies...
Depuis 10 ans, la peinture a découvert la matière, corde à laquelle presque tous les jeunes abstraits se sont pendus.

Où en est le nouveau aujourd'hui ?

L'informel par réaction à l'abstrait formel est né et meurt.
L'art métaphysique à la recherche de l'absolu piétine autour de la Mort. Klein expose l'air, le vide, l'eau, le feu... Il a intentionnellement pris possession de la beauté, de ces éléments.
Avec lui Arman accumule et s'identifie au plein.
Ailleurs partout on défriche.
Martial : la couleur dans le plastique.
César : la ferraille.
Au vrai sens du mot Audace sur Audace.
En Amérique, on expose des toiles sur lesquelles sont accrochés des chiens.

Quelles sont les possibilités du beau ?

Dans le cadre de la recherche du nouveau, il faut tout conquérir : les gestes, les ombres, la viande pourrie, les décharges électriques (Grégoire), les chocs (Ben), la mort (Ben), le vide (Klein), le plein (Arman), la ferraille (César), la guerre...
Ainsi, il faut que dans l'esprit d'une minorité d'abord et de la majorité ensuite le beau soit partout même dans le pastiche et la reproduction.
Le beau doit sérieusement et non pas surréalistement être partout. Le beau doit se libérer de la technique qui va de pair avec l'œuvre.
Il doit exister dans le rien, rien en idée, rien en matière (c'est-à-dire là encore, doit rejoindre la mort). Le beau doit se libérer aussi de lui-même, mais pas dans l'affreux qui est une tentative vaine. (Épuisé de ne pas voir d'épuisement). À cette recherche de création qui est absurde, l'artiste grâce à la médecine aura recours à l'idiotie "l'idiot seul est équipé pour respirer ".
Tout cela n'est peut-être pas pour demain. Trop de facteurs inconnus déterminent l'avenir.
L'effet de la radioactivité, une invasion interplanétaire, la découverte de la Machine à voyager dans le passé et l'avenir (qui bouleversera la conception de l'histoire de l'art, on saura le beau avant de l'avoir pensé) etc...
Ensuite, puisque l'idée d'une forme d'art peut être considérée aujourd'hui comme sa création, je prends Moi Ben possession de l'idée de la Mort dans l'Art (communiqué à la presse le 21-7-1960) Car seule la mort est l'absolu.
Avant pourtant que les créateurs ne se suicident en me pastichant, il faut que l'homme grâce à son esprit social intelligent atteigne un régime de plénitude sociale et matérielle.
Ensuite l'artiste par désir de création brisera tout. La Morale, la technique, la vie, l'affectation, le paraître, l'idée des autres en lui. Il sera sadique, il transformera l'homme biologiquement par voie radioactive et glandulaire, il tuera par goût esthétique. Bref le monde sera œuvre et création à la fois. Jusqu'au jour où un créateur signera la fin du monde par désir du beau.

Moi Ben, je signe
Les assiettes sales
Les copies et pastiches
Les chocs
Les murs
Les douleurs
Les maladies (surtout le choléra et la peste)
Les regards
Les rayons de lumière
Les continents
Les gestes
Les mots
Le déséquilibre
Le manque
La guerre
Le meurtre
La famine
Des cadres vides avec des poignées dits "porte sur le monde"
La Paix
La Planification
L'organisation
La Mort La Mort La Mort La Mort La Mort La Mort
Le silence le bruit l'odeur la peur la joie la mort la mort
Le silence le bruit l'odeur la peur la joie la mort la mort
La fin du monde la solitude la mort la mort la mort la mort
La destruction d'humains devant des murs blancs à la mitrailleuse la mort la mort la mort la mort la mort la mort
Ma mort
Je signe surtout le mystère en boîte
Et l'écriture peinture.

Retour...

1963

THEATRE ET NOUVEAU

L'essence de toute création théâtrale est d'être neuve c'est-à-dire d'apporter le plus d'écart possible entre elle et ce qui la précède. Le théâtre doit chercher toujours un nouveau langage et de nouvelles lois.
La recherche dans ces domaines est limitée par l'essence du théâtre même, c'est-à-dire que le nouveau ne peut se passer ni du public, ni de la communication, ni de l'existence de la création et de son créateur. Mises à part ces trois données axiomatiques, tout est permis au créateur.
Cette conscience du tout possible qui date du mouvement surréaliste dada des années 1920, a donné naissance ces dix dernières années à un théâtre nouveau que j'appellerai théâtre total et qui s'appelle selon les pays et les formes qu'il prend :
– Proposition théâtrale "Happening" ou "Event" Les apports de ce théâtre sont :
A) la participation directe du public à l'action c'est-à-dire la fin de cette séparation de corps entre public et acteurs.
B) la découverte et la mise en application du choc théâtral pur et véritable, c'est-à-dire la communication d'un message ou d'une idée par son action vraie et réelle et non pas par son simulacre.

(Nice Ben 1963).

Retour...

1965

QU'EST-CE QUE LE NOUVEAU EN ART ?

La beauté est l'opinion, le jugement qui lient affectivement l'homme à une forme, une idée, un objet (Ex. : j'aime cette chaise). Cette forme, cet objet, si l'on suppose qu'ils existent seul, sans l'homme, ne sont ni beaux, ni laids. Ils ne le deviennent que lorsque l'homme en prend conscience.
Analysons cette notion : pour avoir conscience d'une valeur il faut avoir conscience de son inverse. Il n'existe pas dans l'esprit de l'homme de jugement qui ne soit placé sur une échelle de nuances de cette valeur.
Un objet est grand par rapport à un objet petit
Un objet est froid par rapport à un objet chaud
Un objet est nouveau par rapport à un objet vieux
etc...
Ainsi, dès que l'individu voit une forme elle se place dans son esprit, consciemment ou inconsciemment quelque part sur l'échelle de nuances qui va du plus au moins.
Mais pourquoi ce lien affectif entre l'homme et la forme ? L'homme a des besoins fondamentaux d'ordre économique (manger, dormir), de connaissance (savoir), amoureux (vie sexuelle) et de création (être par rapport aux autres).
Je précise. La conscience de l'homme est faite de la conscience des autres et toutes ses activités sont en relations avec le désir d'être par rapport aux autres.
La création et la connaissance résultent de l'agressivité et de l'insatisfaction de l'homme.
L'homme crée donc la beauté dans son esprit. C'est un besoin fondamental.
Lorsqu'il voit la forme il l'explique: Si X me plaît c'est parce que A + B + C (couleur, équilibre, harmonie, etc.).
En réalité ces attributs n'ont aucune valeur artistique réelle. La seule raison pour laquelle X est beau est que X a été pour l'individu chose nouvelle. Je précise.
Le bouquet de fleurs ne vous plaît pas parce que les fleurs sont rouges mais parce que vous venez, en voyant ces fleurs d'être enrichi d'un choc Nouveau. Je remplace la valeur de beauté par celle de nouveauté.
L'individu aime ce qui lui a apporté ou lui apporte quelque chose. (Ex.: j'aime la musique tibétaine, j'aime Rembrandt). Ces choses ont enrichi, à un moment, sa conscience d'un apport Nouveau.
La possession du nouveau le différencie des autres et cette différenciation satisfait son ego. L'artiste solitaire, créant l'art pour l'art ou l'art pour un absolu quelconque est un mythe. On ne trouve aucun exemple, exception faite des fous, d'un quelconque créateur qui ne soit préoccupé de sa propre création par rapport à celle de ses collègues.
La recherche, l'acceptation et l'amour du Nouveau sont donc un phénomène d'agressivité intelligent, propre à l'homo sapiens, et que l'on ne retrouve chez aucune autre espèce vivante.
Mais poursuivons notre analyse. Chaque individu étant déterminé différemment, il y a autant de conceptions qu'il y a d'individus. L'expérience de tous les jours le prouve. Ce qui plaît à A déplaît à B. Donc tout jugement esthétique se voulant absolu (ex. : Tout le monde aime les fleurs rouges) c'est-à-dire propre à tous les hommes, est nul. Mais alors, si toutes ces conceptions ne se ressemblent pas, n'y en aurait-il pas une qui soit supérieure?
Pour discerner celle entre toutes ces conceptions du beau qui serait la plus vraie, il faut créer une autre échelle de valeur. C'est ici qu'intervient l'Histoire de l'Art qui est une conception du beau à l'échelle d'une majorité d'individus. La conception historique des créations est en fait un tri parmi les millions de créations qui ont eu lieu. Ce tri, malgré qu'il se gargarise d'explications et d'attributs puérils, a toujours pris, comme seul critère valable, La Nouveauté. Ainsi, entre deux œuvres qui ont une parfaite ressemblance, de style, de travail, etc., mais qui sont de créateurs différents, l'histoire de l'art gardera celle qui possède l'élément créateur à partir duquel la seconde a été faite. L'histoire de l'art se résume donc à un choix d'œuvres qui apportent du Neuf. Sauf pour les époques où le manque d'information ne permet pas de citer les créateurs ou de distinguer les pastiches des originaux il en a toujours été ainsi. Cependant, une véritable histoire mondiale de l'art devrait être la connaissance (mémoire chronologique) de toutes les créations, sans exception, fussent-elles neuves ou pas, dont l'intention était d'être belles. Et cela depuis le début des temps jusqu'à notre époque, sans préjugé de race, de pays ou de degré de civilisation. Cette histoire de l'art devrait placer toutes ces œuvres dans leur entourage sociologique, historique, économique, puis expliquer le choix arbitraire de ces œuvres par les anciennes histoires de l'art. Il faudrait montrer aussi tous les courants et sous-courants de créations, tous les publics.
Mais qu'est-ce que le Nouveau ?
Le Nouveau, avant d'apparaître dans l'œuvre sous forme d'attribut représentant la personnalité du créateur, est Inconnu. Il n'est ni beau ni laid. Dés qu'il existe, il devient élément de transformation. En fait, le nouveau n est pas une qualité physique délimitée objectivement mais un rapport de comparaison de l'esprit entre une forme et l'ensemble des formes la précédant.
Il est constatation
d'une différence.
Placé devant une création, le spectateur moyen explique ce qu'il ressent en donnant à l'œuvre des attributs. Un tableau lui plaira pour sa grâce, sa légèreté, sa symétrie, sa couleur, etc... Parmi ces attributs, certains contiennent le Nouveau. Ainsi, le nouveau chez Rembrandt était la lumière, chez Calder la mobilité, chez Klein l'absolu, chez Tinguely le mouvement, chez Georges Brecht la vie. Mais les critiques s'égarent lorsqu'ils ramènent la notion de beauté de l'œuvre à ces seuls attributs uniquement et pour toujours. Pour eux, le beau se résumera à retrouver ces valeurs-types qu'il ont une fois appréciées. Cela est faux. Au contraire, pour juger l'œuvre d'un créateur il faut comparer cette œuvre à toutes celles qui la précèdent par les différences. Seules, ces différences, quelles qu'elles soient, contiennent la valeur de l'œuvre. Une telle analyse demande obligatoirement une connaissance historique des créations précédentes. Faute de quoi, on pourrait donner à un pastiche la valeur d'une création réelle. D'où la notion importante de la date dans l'œuvre. La date seule sépare l'œuvre de son pastiche. Deux œuvres ayant les mêmes attributs sont de valeurs différentes, selon la date de création.
Objectivement, l'attribut qui contient le nouveau n'est pas nouveau. Il est fait de mémoires disparates réunies (vieux matériaux). C'est un puzzle qui se refait chaque fois autrement avec d'anciens morceaux, mais dans un temps nouveau. Une forme nouvelle surgit, faite d'anciens éléments : la ligne, la courbe, la toile, l'objet, la vie.
Par ailleurs, le Nouveau n'est pas toujours le résultat de sa recherche consciente. Il peut y avoir découverte fortuite. Le créateur pense alors à faire ce qu'il croit beau sans être pour cela à la recherche de nouveau. Et c'est en essayant maladroitement de reproduire une notion périmée de beauté qu'il fera une œuvre nouvelle. C'est le cas de l'art naïf.
L'individu créateur est déterminé physiquement par tout l'univers en mouvement, Il ne peut créer que ce qu'il est déterminé de créer. Sa liberté de création est illusion. Il est déterminé par la société, la technique, la morale, la religion, l'histoire de l'art de son temps, sa condition sociale, etc...
Prenons par exemple la technique. Il est difficile de concevoir un art d'affiches lacérées ailleurs qu'en France et en Italie. Car c'est uniquement dans ces deux pays qu'on peut en voir constamment sur les murs.
L'art est aussi déterminé par la morale que l'artiste créateur accepte. Qu'il s'agisse d'une morale essentiellement égoïste à travers laquelle l'œuvre d'art dit : Regardez-moi je suis faite par X. ou d'une morale altruiste disant : Regardez-moi je suis révolutionnaire, chrétienne, utile, etc...
Si j'insiste ainsi sur ce qui détermine la création, c'est pour faire ressortir qu'à travers tous ces facteurs différents qui tendraient naturellement à diviser et à diversifier l'art, une seule valeur constante se retrouve partout, à n'importe quelle époque : la nouveauté.
Il n'y a jamais eu un véritable art collectif mais toujours des écoles avec des maîtres créateurs. Partout, l'art a été synonyme de nouveauté, personnalité, création, individualité et agressivité.
Mais voyons justement comment se porte ce Nouveau agressif, individuel, et personnel, depuis 1920.

Dada et Duchamp

Incontestablement, la plus grande révolution artistique occidentale depuis un demi-siècle fut Dada. Il est très important que l'on comprenne la portée de cette révolution. Dada a, en fait, tout détruit et tout reconstruit. Dans son manifeste de 1918 Tristan Tzara décrétait Ordre = désordre, égaux = non égaux, Affirmation = négation Et Georges Ribemond Dessaigne qui se posait la question : "qu'est-ce qui est beau, qu'est-ce qui est laid ?" répondait. "Je ne sais pas, je ne sais pas, je ne sais pas."
Dada a remis en cause l'existence même de l'art et a détruit toutes les valeurs rationnelles et les hiérarchies esthétiques de l'époque. Mais en même temps il donnait les bases d'un art nouveau, dont les frontières étaient illimitées car maintenant tout pouvait être considéré comme beau et non pas une partie spécifique du tout comme précédemment, et cela dans tous les domaines de l'art, peinture, théâtre, musique, etc...
Ainsi, depuis le ready made de Duchamp en 1913, l'art plastique est devenu intention. C'est-à-dire que, du moment que Duchamp avait décidé qu'un porte bouteille pouvait être une œuvre d'art, toutes les formes imaginables et existantes dans la nature devenaient art à condition que l'artiste créateur se les appropriât en les créant ou en les signant.
Sur le plan théâtral, on peut situer la révolution dadaiste aux premiers environnements d'Avril 1921, lorsque Breton suggéra aux Dadaistes de se rencontrer non plus dans les salles d'expositions et de théâtres mais de faire une série d'excursions et de visites. Ainsi Breton et Tzara firent une conférence dans le jardin de l'église Saint-Julien le Pauvre, et Ribemond Dessaigne conduisit un Tour en lisant à haute voix les définitions du dictionnaire. En Mai 1921, les Dadaistes transformèrent l'exposition de collages de Max Ernst à la Galerie Au Sans Pareil en une véritable performance de musique théâtrale. Benjamin Perret et Charchoune, portant des gants blancs, se serraient la main continuellement. Aragon miaulait dans un coin. Breton mâchait des allumettes. Soupault et Tzara jouaient à cache-cache. Ribemond Dessaigne hurlait "Il pleut sur mon crâne ". Jacques Rigaut à la porte comptait à haute voix les voitures qui arrivaient et les perles des dames qui entraient à l'exposition.
Bien sûr, on se demande : jusqu'où les dadaistes étaient-ils conscients de l'importance esthétique de Dada? Il semble y avoir eu chez eux une très forte tendance à vouloir être amusants, malins. Chez Tzara comme chez Duchamp le jeu de mot est facile, parfois lourd. Certaines de leurs représentations sont grossières. Il serait difficile à un profane de différencier leur manifestations artistiques des chahuts et des canulars estudiantins. Pour appuyer cet argument, je dirais qu'il est étonnant qu'après ce coup de vent qui souffla sur Paris en 1920, aucun des grands, ni Tzara, ni Ribemond Dessaigne, ni Aragon ne donnera d'autre preuve d'une suite de cet esprit extraordinaire et total qu était Dada. Et qu'au contraire, presque tous les dadaistes, à l'exception de Duchamp, firent marche arrière en faveur de formes d'expressions désuètes.
Mais là n'est pas la véritable question. Volontaire ou non, la bombe Dada a explosé et les conséquences de sa déflagration se font ressentir aujourd'hui car aucun des grands courants nouveaux que je vais citer pour répondre à la question "Où en est le nouveau aujourd'hui ?" ne semble avoir évité son influence.

John Cage

Il est le créateur de la musique indéterminée. Avant John Cage, la composition musicale, même concrète, était déterminée dans toute sa longueur, c'est-à-dire que partout, à n'importe quel moment de la composition, le résultat avait été voulu et décidé à l'avance. Ce que John Cage apporte : il ne choisit pas, il laisse faire le hasard, du moins en partie. Pour lui, le moindre bruit, venu à n'importe quel moment, a une valeur musicale. Ce n'est pas sans nous rappeler Debussy qui disait, vingt ans plus tôt "n'importe quels sons, combinés n'importe comment, dans n'importe quelle succession, peuvent être employés dans une continuité musicale". John Cage est aussi le père des Happenings. En 1952, il a organisé à Blackmountain Collège ce que l'on peut considérer comme le premier happening. La représentation englobait la facture d'un tableau de Rauchenberg, la danse de Merce Cumingham, un poème récité par Charles Olsen qui était perché sur une échelle, le pianisme de David Tudor. L'audience était assise au milieu de toute cette activité. Cette description nous laisse supposer que Cage n'ignorait pas les premières manifestations Dada auxquelles elle ressemble beaucoup. Une troisième caractéristique, et non la moindre, dans l'œuvre de John Cage, est son enseignement, qui déborde de son sujet "la composition musicale". Il enseigne aux New School que la création est illimitée, que tout est musique, que tout est possible en art.
Et ses élèves, Earle Brown, Georges Brecht, Dick Higgins, Allen Kaprow, malgré qu'ils choisiront plus tard chacun une voie différente, seront tous empreints de l'esprit total de tout possible de John Cage.
Une quatrième caractéristique dans l'œuvre de John Cage, due à l'influence du Zen, est son esprit empreint de fatalisme. Il admet l'existence de l'originalité mais nie la nécessité de toute compétition agressive. Résumons donc l'apport de John Cage :
1) la musique indéterminée (le Hasard) ;
2) le Happening ;
3) la dépersonnalisation agressive de l'art ;
4) l'acceptation du tout possible.

Allen Kaprow et les Happenings

Si John Cage fut le premier à faire un happening, c'est Allen Kaprow qui les développa et en fit un véritable art théâtral. Les caractéristiques du Happening sont :
1) une suite d'événements dont la trame est prévue mais les détails improvisés.
2) Un happening peut avoir lieu n'importe où et rarement sur une scène théâtrale.
3) Il possède un côté très amateur et peu professionnel.
4) Il est très visuel et par là se rattache à la peinture. (Il ne faut pas oublier que Kaprow et beaucoup des premiers happeningers n'étaient pas des gens de théâtre mais des peintres). Selon Kaprow lui-même sa démarche a été la toile, puis les objets sur sa toile, puis les objets ont envahi la galerie, puis ils ont pris du mouvement, puis il a ajouté des gestes, des gens et des cris.
5) Une certaine participation du public à l'action.
Le happening, en 1960, est venu apporter du sang neuf au théâtre.

La Monte-Young

L'apport essentiel de la Monte-Young est musical. Il est le créateur de la musique systématique. La musique systématique est le contraire de la musique indéterminée. C'est jouer, par exemple, 566 fois le même accord. Lorsqu'on écoute la musique de la Monte-Young, on a une impression de longueur. Pourtant, au bout de quelque temps, cette impression de longueur même devient intéressante. La Monte-Young réussit avec une toute petite chose à en faire une grande.
Ses compositions sont très simples. La composition 1960, qui rappelle ma pièce "publik", consiste à faire monter sur scène un quelconque nombre de spectateurs qui écouteront et regarderont le public de la même manière que le public a l'habitude de regarder les spectateurs.
Une autre de ses compositions, de l'année 1960, est d'annoncer que la composition durera le temps que les lumières seront éteintes. Je décèle personnellement deux influences chez la Monte-Young: celle de la musique thibètaine et de l'Inde du Nord et celle du contre-pied de John Cage.

Yves Klein

Avec Yves Klein nous quittons les U.S.A. pour revenir en Europe.
L'attitude d'Yves Klein envers l'art est axée vers la prise de possession d'éléments absolus. Et cela pour être le premier, le seul, le plus grand. Klein s'était intéressé à la politique, puis au judo mais comme il s'était aperçu qu'il ne pouvait pas être le plus grand dans ces deux matières, il a décidé de l'être en peinture. Le premier monochrome d'Yves Klein qui date de 1956 est un point final à abstrait. D'après moi, Klein a voulu dire : " Messieurs, vous avez tous vos styles particuliers, les uns à faire des tâches, les autres à faire des traits, etc., moi, Yves Klein, je vais plus loin que vous tous avec le monochrome, après moi il ne peut plus y avoir de toiles abstraites. "Au théâtre, sa démarche est identique. Il veut tout s'approprier tout de suite. Il décrète que le Dimanche 27 Novembre 1960 est pièce de théâtre dans le monde. il signe le sommeil. Il écrit une pièce durant laquelle les gens attachés dans la salle devront supporter le monochrome Klein pendant une heure. Mais son apport le plus important est l'esprit d'appropriation qui découle d'une logique claire. Le monde entier est à prendre et à transformer en œuvre d'art. Ce qui n'est pas art doit le devenir. En prenant possession de l'air, du feu, du vide, de l'immatériel et du monochrome, il a rejoint l'esprit total de Dada et de Duchamp. Il ouvre la porte des appropriations. Résumons donc l'apport de Klein :
1) le monochrome, point final de la peinture abstraite,
2) la notion d'appropriation,
3) le théâtre du vide,
4) l'acceptation du tout possible.

Le Nouveau Réalisme, le Pop Art et le Groupe Zéro

Après Klein, c'est le Nouveau Réalisme. Autour de Pierre Restany, critique d'art, se groupent Arman, Dufrêne, Christo, Villeglé, Tinguely, César, Hains, Spoerri, Raysse. Voici comment Pierre Restany les décrit : "...Les Nouveaux Réalistes considèrent le monde comme un tableau, une grande œuvre fondamentale dont ils s'approprient des fragments. Ils nous donnent à voir le réel dans les aspects divers de sa totalité expressive et, par le truchement de ses images spécifiques, c'est la réalité toute entière, le bien commun de l'activité des hommes, la grande république de nos échanges sociaux, de notre commerce en société, qui est assignée à comparaître. Dans le contexte actuel, le ready made de Duchamp prend un sens nouveau..." Et plus loin. "...L'esprit Dada s'identifie à un mode d'appropriation de la réalité extérieure du monde moderne. Le ready made n'est plus le comble de la négativité ou de la polémique mais l'élément de base d'un nouveau répertoire précis." Ainsi, Arman, prend possession de la notion d'accumulation et des poubelles, César des compressions de voitures, Martial Raysse du plastique, Hains, Villeglé, Rotella et Dufrène, des affiches, Tinguely des sculptures mobiles à moteur, etc., etc.
A peu près à la même époque, aux Etats-Unis, sous l'influence consciente ou inconsciente de John Cage, et du Dadaîsme, le même phénomène de la prise de possession et de l'appropriation du monde a lieu. Il s'agit du Pop Art. Chacun, là comme en Europe, se spécialise. Lichtenstein reproduit des bandes de dessins animés, Chamberlain expose des voitures embouties, Rauschenberg fait des collages d'objets, Jasper Johns se spécialise entre autre à repeindre le drapeau américain, Andy Warhol donne sa facture en reproduisant Marylin Monroe en de nombreux exemplaires sur la même toile. En fait, la prise de possession, l'appropriation et la systématisation d'une partie de la réalité comme presque tous les Nouveaux Réalistes et Pop artistes le font, n'apporte rien de nouveau dans le fond, mais dans la forme. Chacun a une œuvre physique différente de celle du voisin mais tous ont la même démarche, celle dYves Klein, de Duchamp, de John Cage ou d'lsou. Plus précisément les Pop Artistes et les Nouveaux Réalistes sont des entrepreneurs qui transforment et remplacent objectivement, dans tous les arts, "l'esthétique des harmonies" par "l'esthétique du tout possible". Cela sous les directives des maîtres architectes Duchamp, Cage et Klein. Pourtant, la plupart d'entre eux ont commis, après un début pur, l'erreur de reharmoniser et rehédoniser cette partie du Tout possible dont ils étaient les mandataires, exception faite des Tableaux pièges de Daniel Spoerri qui sont une des manifestations de l'esprit Total. Un tableau piège est l'enseignement à Tout aimer. Heureusement à côté de leur œuvre physique on trouve, souvent, une autre œuvre plus intéressante et plus libre :
Les films d'Andy Warhol, les hurlements de François Dufrêne, la signature de Manhattan d'Arman, les théories d'Hains, etc.
Adjacent et parallèle à cet esprit d'appropriation en Italie et en Allemagne, le groupe Zéro, à la même époque, poursuivait ses propres expériences. Parmi eux, Piero Manzoni avait créé le monochrome blanc, les lignes et les fils, puis la merde d'artiste vendue en boîte en tant qu'œuvre d'art. Manzoni possédait cet esprit total que l'on retrouve chez Klein et Cage. Il participa en 1960 à la manifestation du Rien. Voici son manifeste :

"Une toile vaut presque autant que pas de toile, une sculpture est presque aussi bonne que pas de sculpture, la machine est presque aussi belle que pas de machine, la musique est presque aussi agréable que pas de musique, le bruit est presque aussi agréable que pas de bruit, pas de marché d'art est presque aussi fructueux que le marché de l'art, quelque chose est presque rien, non quelque chose"

Isidore lsou, Maurice Lemaître et le lettrisme

Si l'attitude d'Yves Klein paraît mégalomane envers l'art, celle d'Isidore Isou l'est encore plus. Isou est créateur parce qu'il veut l'être. La principale caractéristique que l'on retrouve dans toute son œuvre est sa prétention, qu'il ne cache pas, son désir et sa foi qui enseigne aux autres par le Nouveau qu'il veut apporter. C'est lui qui enseigne qu'il faut faire du nouveau à tout prix, et cela en répétant inlassablement, chaque fois qu'on lui apporte une œuvre : "C'est vieux, c'est du déjà fait" ou "je l'ai fait avant vous". Dès son enfance il prend une double position envers l'art. D'abord l'art lui servira à être un grand homme, le plus grand, ensuite, l'art doit être nouveau. Partout dans l'œuvre d'lsou, on retrouve le désir de tout changer et cela dans tous les domaines de l'art: peinture, sculpture, architecture, poésie: musique, etc.
En littérature et en poésie, il apporte le lettrisme dont l'importance est indéniable. C'est une transformation radicale du langage habituel avec la disparition des mots.
En théâtre, il apporte la notion de l'implique. Le dialogue n'est plus nécessaire, il est remplacé par la déclaration de l'acte.
En cinéma, il crée le film discrépant. Mais c'est Maurice Lemaître qui en fera le premier chef-d'œuvre avec " Le film est déjà commencé ?" Cependant incontestablement l'œuvre la plus absolue d'Isidore Isou est la notion de l'art infinitésimal et de l'art supertemporel. Sur ce sujet voici un extrait de son livre :

"Tout art étant une forme d'expression lsou offre des supports qui n'ont que la valeur de châssis ou de mécanique d'une fabrication possible sur lesquels n'importe qui et n'importe quoi peuvent venir à tous moments pour exprimer tout ce qu'il désire... La personne qui l'apporte signe le matériel primitif comme responsable de son choix et comme premier réalisateur d'une chaîne infinie de réalisateurs présents ou futurs. Alors qu'une œuvre ordinaire est achevée avec la signature ou la présentation accomplie par son maître, l'œuvre supertemporelle commence à vivre à partir de la signature.
La signature (la non signature) ouverture, remplace la signature (la non signature) fermeture. En somme, l'initiateur signe un chèque en blanc que n'importe qui remplira de la somme voulue et incessamment changeante. Qu'on écrive, qu'on peigne, qu'on gratte, qu'on arrange, qu'on dérange, que les visiteurs s'expriment ou refusent de s'exprimer qu'importe! l'auteur initiateur s'est accordé ce cadre pour faire confiance à ses successeurs. Qu'ils la méritent ou la déméritent, à leur guise, ils ne pourront plus lamais effacer cette confiance jus qu'à la fin des temps. Ils ne pourront plus se dépouiller de ce sacerdoce qu'en le détruisant, qu'en anéantissant sa religion."

Un détail intéressant est qu'Yves Klein, Isou et moi-même, nous avons tous trois, entre 1958 et 1960, créé des œuvres absolutistes très proches. Ainsi le vernissage des cadres supertemporels d'lsou eut lieu le 27 Mai 1960, le Théâtre dans le monde d'Yves Klein le 27 Novembre 1960 et ma prise de possession de tout le 3 Janvier 1960.

Le non art, Fluxus et Georges Maciunas

Le groupe Fluxus est à mes yeux un des groupes possédant le plus grand potentiel de création aujourd'hui. Il réunit un certain nombre de créateurs dont le point commun est l'absence d'une œuvre physique qualitative, quantitative et professionnelle au sens commercial du mot. George Maciunas, le fondateur du groupe, fut le premier à me définir à Londres, en 1962, "l'œuvre non-art ". Pour lui elle est à l'opposé de l'œuvre d'art en ce sens, que l'une est le résultat de fabrication et d'imagination humaine tandis que l'autre est constatation d'une réalité, objet ou événement. Par exemple, un porte-bouteille seul est à la frontière de l'art et du non-art, et un porte-bouteille dont on se sert normalement est du non art. En 1965 George Maciunas attaque la position sociale de l'artiste. Dans son dernier manifeste Fluxus, il déclare que l'artiste actuel, pour satisfaire son agressivité et justifier sa prétention sociale, veut démontrer que seul, il peut taire de l'art. A cette fin il complique, intellectualise et raréfie l'art. De sorte que seule l'élite sociale peut s'en approcher.
George Maciunas propose d'établir un nouveau statut pour l'artiste.
1) Il ne doit pas faire une profession de son art.
2) Il doit enseigner que Tout est art et que Tout le monde peut le faire.
3) L'art doit s'occuper de choses insignifiantes et n'avoir aucune valeur institutionnelle, il doit être amusement.
4) L'art doit être illimité en quantité, accessible à tout le monde et si possible "fabricable" par tout le monde.
La position de Maciunas est très proche de celle de Flynt.

Henry Flynt

Pour Henry Flynt, la culture artistique qui nous entoure aujourd'hui est un instrument entre les mains des classes dominantes. Les marchands de tableaux, les collectionneurs, le marché de l'art en sont une preuve. D'après lui, il n'y a pas de séparation entre la politique et l'art. Du moment que l'on a accepté comme but une société communiste, sans classe, il faut d'ores et déjà, œuvrer par une politique culturelle bien définie à établir cette société.
Dès 1963, Henry Flynt forme des mouvements de démonstrations et des manifestations devant les musées. Les écriteaux qu'il porte titrent :
"Détruisez tout art sérieux". Il est contre ce que nos communistes locaux pourraient appeler un art engagé, Sartre, Bertold Brecht, etc., mais pour un art populaire sans artiste. En cinéma, il propose des documentaires. En musique, selon les ethnies, les danses populaires de chaque pays, etc.

Ray Johnson

Le non art, chez Ray Johnson est de remarquer dans des objets isolés qu'il rencontre, une coïncidence ou une comparaison qu'il communique grâce à sa correspondance. Une lettre de Ray Johnson contient par exemple, la moitié d'une photo, un morceau d'article déchiré, une carte à jouer, le coin d'une lettre écrite de votre mam, etc. On a l'impression que Ray Johnson vous dit, "Voilà, mon art à moi c'est ce n'importe quoi d'anonyme".

George Brecht

Ancien élève de John Cage, George Brecht est l'un des créateurs du groupe Fluxus. Son apport est considérable, Il consiste en événements et arrangements d'événements. L'événement est ici pris au sens large du terme. (Soulever ou boire un verre d'eau). George Brecht soustrait à l'œuvre d'art (objet) sa qualité physique pour lui donner un sens vivant. Par exemple le signe "Sortie" dans un cinéma dépeint parfaitement son objectif (Les gens sortent). Sur scène la musique et le théâtre de George Brecht consistent à poursuivre cet enseignement. Voici la description de trois compositions ou événements pour un piano.
1) L'exécutant arrive, salue, s'assied au piano, dès qu'il est assis toutes les lumières s'éteignent. Dans le noir l'exécutant se lève et quitte la scène. Dès qu'il a quitté la scène la lumière revient.
L'assistance ne voit que le piano seul sur scène.
2) L'exécutant photographiera le piano sur trois angles différents.
3) L'exécutant posera un pot de trois fleurs sur le piano.
Une autre caractéristique dans l'œuvre de George Brecht est qu'il croit que l'œuvre d'art soi-disant personnelle ne peut être déterminée, limitée et définie objectivement, c'est-à-dire que l'œuvre d'art n'est pas une chose personnelle. George Brecht ne date ni
ne signe ses œuvres.

Art Total: Ben

Il existe aujourd'hui deux conceptions du beau. La première défendue par les tenants de l'art classique et de l'art abstrait est que le beau possède des limites harmoniques plus ou moins bien déterminées. La seconde, et c'est celle qui nous intéresse car elle est commune à tous ceux que j'ai cités dans ce chapitre, est que l'art est Total c'est-à-dire que Tout peut être art. Pourtant, si chacun de nous croit au Tout possible chacun le voit et le communique à travers sa propre personnalité. Ainsi chez Klein et sou c'est un Tout absolu. Chez Cage, un Tout indéterminé. Chez Dali, un Tout exhibitionniste. Chez George Brecht, un Tout de la vie courante et chez moi un Tout qui se veut large, illimité, contenant plus de possibilités que les "Tout" précédents.
Avant de décrire ce Tout tel qu'il apparaît dans mon œuvre, je voudrais rappeler mes convictions esthétiques sur lequel il est fondé et que j'ai argumenté dans la première partie de ce chapitre.
Ma première profession de foi est que l'acte de création est synonyme de Nouveau.
La seconde est que le Nouveau sert à la Vie. C'est-à-dire que la recherche et la préservation du Nouveau sont les seules activités valables de l'homme. Qu'elles seules éloignent l'homme de la mort et de la stagnation. Qu'elles sont évolution, transformation et progrès.
Ma troisième profession de foi est que le Nouveau chez l'individu créateur est résultat d'agressivité intelligente. On fait du nouveau que pour être supérieur aux autres.
A partir de ces principes, auxquels je reste fidèle, je cherche depuis 1959 toutes les voies ouvertes possibles à l'Art. Toutes mes actions, attitudes et réflexions dans mon œuvre partent du désir d'apporter un Nouveau aussi différent que possible de celui des autres. Mes influences les plus directes ont été les Ready Made de Marcel Duchamp, les Appropriations d'Yves Klein, la Prétention d' Isidore Isou, la simplicité et la notion d'anonymat de George Brecht, et le Non Art de Dada. Mes domaines de recherche entre 1959 et 1965 sont de deux ordres : le premier consiste en une suite de gestes et de signatures d'appropriation. J'ai signé la notion de Tout, la Mort, Dieu, L'Histoire de l'Art.
Ces appropriations apparaissent sous la forme de tableaux écritures, boîtes noires, d'objets sculptures, ready made, certificats, tracts, affiches, gestes, etc.
Mon second domaine concerne surtout l'existence et l'essence de l'Art lui-même. Il est une remise en question et une attitude philosophique envers la création artistique. Il apparaît dans mon œuvre sous forme de théories, de déclarations imprimées (petites cartes), de manifestes, etc.
Voici une argumentation sur l'une des limites du nouveau le non nouveau suivie d'une série de diverses déclarations esthétiques datant entre 1959 et 1965 qui correspond à ma définition de l'Art.

Nouveau ou pas Nouveau

En 1965 il faut à l'art toujours du Nouveau.
Mais comment changer plus radicalement l'art qu'en changeant la valeur même du Nouveau.
Oui, pourquoi ne serais-je pas le "Premier à ne pas faire œuvre nouvelle?" En tant que déclaration cela est peut-être neuf mais son contenu ne semble pas "réalité
Car le but poursuivi est en contradiction avec le but déclaré.
Si je cherche à ne plus faire du Nouveau pour faire du Nouveau je fais du Nouveau et c'est une déclaration mensongère et hypocrite.
Mais si par contre je décide de ne plus faire de Nouveau parce que je suis contre le Nouveau même si cette position est nouvelle la déclaration est honnête.
Voyons d'abord les raisons et les moyens d'en finir avec le Nouveau si l'on est contre.
Si comme je le dis précédemment l'homme est agressif et que l'art et la recherche ne sont que des moyens pour satisfaire son agressivité, la transformation de la réalité humaine agressive en une réalité humaine non agressive entraînerait automatiquement la disparition de l'art et du nouveau à tout prix.
Je citerai trois démarches qui tendent vers ce but.

La première stipule que l'agressivité n'est pas innée à l'homme, qu'elle est maladive et que les causes sont psychiques et sociales. C'est, entre autres, la position de W. Reich qui a élaboré une thérapeutique sexuelle dont le but est la suppression de cette agressivité.

D'après RE/CH : "La santé psychique dépend de la puissance orgastique, c'est-à-dire de la capacité de se donner lors de l'acmé de l'excitation sexuelle, pendant l'acte sexuel naturel. Sa base est l'attitude caractérielle non névrotique de la capacité d'aimer. La maladie mentale est le résultat d'un désordre dans la capacité naturelle d'aimer... La structure caractérielle de l'homme d'aujourd'hui (qui perpètre une civilisation patriarcale et autoritaire, vieille de quelque quatre à six millénaires) est marquée par une cuirasse contre la nature en lui-même. Cette cuirasse de caractère est à la base de la solitude, de l'insécurité, de la recherche de l'autorité, de la peur de la responsabilité, de la quête d'une mystique, de la misère sexuelle, de la révolte impuissante, de la résignation à un type de comportement pathologique et contraire à la nature. Les êtres humains ont adopté une attitude hostile contre ce qui en eux-mêmes représente la vie et se sont éloignés d'elle. Cette aliénation n'est pas d'origine biologique, mais d'origine sociale et économique. On ne la trouve pas dans l'histoire humaine avant l'établissement de l'ordre social patriarcal."
(Extrait de "Fonction de l'orgasme", Editeur L'Arche, Paris.)

La seconde démarche, qui aboutit au même résultat de non-agressivité, découle de la logique marxiste.
L'agressivité de l'homme vient de ce que ses besoins fondamentaux, manger, dormir, etc., ne sont pas assouvis. Pour faire disparaître cette agressivité il suffira de combler ces besoins fondamentaux. Cela grâce à une politique révolutionnaire bien définie.
La place de l'art dans cette optique est provisoire, il doit servir à la transformation de cette société, puis,. parce qu'il représente l'agressivité, il doit disparaître. En effet, la position de l'artiste dans la société actuelle, et face à la majorité, est de se considérer comme indispensable. Seul il peut faire de l'art. L'artiste maintient les notions de supériorité et d'infériorité sociales. L'art est donc incompatible avec une société dont le but avoué serait l'égalité. Je rapprocherai cette attitude de celles d'Henry Flynt et George Maciunas.
Enfin, la troisième démarche est religieuse. Elle introduit la notion de Simplicité, d'Amour, de Totalité, de Nirvana, de Détachement. Elle tend à atteindre l'état non agressif, non jaloux, non malheureux, par la prise de conscience d'une certaine réalité morale et intérieure. C'est une démarche que l'on retrouve dans certaines parties de l'enseignement de Bouddha, de Lao Tseu, de Jésus, du Bouddhisme Zen et, à travers ce dernier, dans l'œuvre de John Cage.
Nous venons donc de voir trois démarches anti-agressives dont le "non nouveau" qui en découlerait serait une prise de position contre le nouveau à tout prix.
Ces trois démarches sont sincères et m'intéressent. Mais lorsque j'analyse mon intérêt je constate qu'il n'existe que dans la mesure où à travers elles je satisferai mon agressivité en développant une personnalité supérieure à celle des autres.
Si donc, en 1962, après ma rencontre avec Klein, je n'ai pas préconisé l'art anonyme et l'abnégation du moi en contre-pied à sa mégalomanie, c'est qu'une telle attitude de ma part aurait été hypocrite. En fait, ma position alors est contradictoire.
D'un côté, je soutiens que l'agressivité et le nouveau sont facteurs de progrès, et qu'une société non agressive est une société stagnante. D'un autre côté, je soutiens que parce qu'il faut du Nouveau, si l'Art est agressivité, je suis aussi pour que cela change, donc pas d'agressivité.
Mais comment se présente ce "Non Nouveau" ? L'œuvre "Non Nouveau" existe dans les contraires et les absences des attributs qui représentent le nouveau.
Une œuvre est dite nouvelle parce qu'elle date de 1900 plutôt que de 1960.
Donc une œuvre sans date est une œuvre dont on ne peut savoir si oui ou non elle est nouvelle.
Une œuvre est dite nouvelle parce qu'elle est de tel créateur plutôt que de tel autre (pasticheur).
Donc une œuvre qui ne serait pas signée ne serait pas nouvelle parce qu'on ne pourrait savoir si elle est d'un créateur ou d'un pasticheur. Une œuvre est dite nouvelle parce qu'elle contient des attributs qui la différencient de celle des autres.
Donc une œuvre ne serait pas nouvelle qui ne contiendrait que des attributs que l'on retrouverait chez les autres (la copie).
Bref, avec d'innombrables variantes qui s'échelonnent entre ne pas signer, ne pas dater et le suicide, l'Art Anonyme est un art comme un autre mais un art hypocrite, s'il s'agit d'Art et pas d'Art du tout, s'il s'agit de pas d'Art.
Il reste pourtant une autre possibilité, de Non Nouveau à étudier. Il s'agit d'une action destructive envers l'Art, un impérialisme artistique, la volonté de certains d'empêcher d'autres de créer. Faut-il contrôler ou non certaines actions nouvelles qui tendraient à l'élimination d'autres actions nouvelles?
Personnellement, je crois qu'un monde contenant une multiplicité de Nouveaux est plus apte à se défendre de la stagnation et de la destruction qu'un monde dans lequel le Nouveau serait endigué et contrôlé. Une action morale et politique ne doit intervenir dans les domaines de la création que si cette création menace directement et sans équivoque la Vie et la poursuite du Nouveau qui est partie de la Réalité Humaine. Il ne s'agit pas là de créer un précédent sur lequel se greffera toute une institution policière artistique mais de rappeler que le Nouveau n'est pas un but en soi mais la recherche du bonheur (satisfaction de l'ego) et que cette recherche, même agressive, doit être intelligente, c'est-à-dire capable d'éviter son autodestruction. Ne nous méprenons pas. Il s'agit bien là du plus grand problème posé à l'homme d'aujourd'hui. Car l'agressivité qui est au fond de tous ces maux et joies possède les moyens techniques de détruire la somme de tous les nouveaux acquis à l'homme depuis des millénaires. Et cela par la guerre atomique.
Pour éviter cela je ne propose pas une politique systématiquement anti-agressive mais au contraire un élargissement de la notion de création pour qu'elle puisse contenir toutes les contradictions, affirmations et doutes possibles. Sur le plan artistique, j'opte pour une multiplicité des cultures.
Je suis contre la politique extérieure et cosmopolitaine des deux ethnies prépondérantes qui veulent monopoliser autour de leur culture tout l'art mondial.
Je suis pour l'ouverture du plus grand nombre possible de voies contenant du nouveau et appartenant au plus grand nombre d'ethnies différentes, l'ethnie et la langue représentant culturellement une entité réelle qui ne peut disparaître que par la destruction totale ou l'assimilation forcée de la population.

L'Art Total

L'Art Total est de prendre conscience que tout ce qu'il se passe, s'est passé ou se passera dans le temps et dans l'espace est art total
L'Art Total est d'exploiter jusqu'aux limites de l'impossible toutes les propositions imaginables et inimaginables par rapport à toutes les données possibles
L'Art Total est de pouvoir changer toutes les dates de toutes les créations de l'Histoire de l'Art : Botticelli 1962, Picasso 1800, Mondrian 1600 etc...
L'Art Total est de transformer biologiquement l'homme pour qu'il ne fasse plus d'art
L'Art Total est la recherche d'une machine à voyager dans le temps pour savoir ce qui sera Art avant qu'il ne le soit pour pouvoir ainsi le créer pour qu'il ne le soit plus
L'Art Total est mon projet d'une maison qui contiendrait parce que je ne jetterai jamais rien collés ou posés partout et sans aucune intention d'agencement esthétique ou avec intention d'agencement esthétique tout ce que je pourrai posséder, bouts de cigarettes, vieilles boîtes, tableaux, etc.
L'Art Total est l'art des autres
L'Art Total est d'abandonner l'Art
L'Art Total est de se tuer
L'Art Total est Tout (y compris rien)
L'Art Total est dans la communication de ce Tout
L'Art Total est de copier
L'Art Total est dans la destruction matérielle de l'Art
L'Art Total est d'ignorer, d'oublier, d'éviter l'Art
L'Art Total est dans l'importance de tout, la chaise, la fumée d'une cigarette, la Joconde, une pierre qui tombe à l'eau, la mouche sur ma main, votre haleine
L'Art Total est de faire du nouveau
L'Art Total est de ne pas faire du nouveau exprès
L'Art Total est de ne pas faire du nouveau pas exprès
L'Art Total est la prétention de l'artiste
L'Art Total est en ballet, de marcher, de danser, de rester immobile
L'Art Total est en musique de tout écouter
L'Art Total est en sculpture, tout ce que l'on peut voir soulever, porter, ramasser
L'Art Total est en poésie, de dire n'importe quoi ou de répéter 100 fois la même phrase
L'Art Total est en peinture de signer les tableaux des autres, de retourner les toiles, de ne plus peindre, de peindre
L'Art Total est en théâtre de boire un verre d'eau sur scène, de jouer le Cid, de fermer le théâtre, de regarder le public
L'Art Total est d'effectuer n'importe quel geste simple ou compliqué visible ou insignifiant de dire "Ceci est Art" de le signer ou ne pas le signer
L'Art Total est la réalisation de tous les verbes (aimer, dormir, chanter, hurler, créer, cracher, poser, voler, tuer, etc.) an tant qu'œuvre d'Art
L'Art Total est votre définition de l'art et le contraire aussi
L'Art Total est de trouver autre chose que ce que je considère Art Total

Retour...

1965

TRACT

Non, je vous le dis il n'y a pas de différence entre les peintres de la Jeune Peinture Méditerranéenne, ceux du Festival des Arts Plastiques, les cracks du Pop Art, ou nos classiques contemporains Mathieu,
Matisse, Poliakoff, Picasso, etc.
Tout le monde fait la même chose.
Tout le monde accroche et décroche.
Tout le monde tourne autour de sa toile.
Tout le monde dit "Vous avez vu ?" C'est moi qui ai fait cela
Tous ont le même paquet sous le bras (une œuvre).
Tous sont jaloux les uns des autres. 
Tous se calculent en sous, en rang, en gloire. 
Donc tous se ressemblent.
Il n'y a pas de différence entre Venet ou Balestra, Arman ou Verdet, Rauschenberg ou Moretti.
La véritable nouveauté a été de prendre l'Art par les cornes et de le retourner. Oui, depuis la prise de conscience totale de Marcel
Duchamp, de John Cage, d'Yves KIein, d'Isidore Isou et de moi-même, il n'est plus besoin d'accrocher.
L'Art c'est de ne plus faire de l'Art.
L'art c'est de couper ses toiles en petits morceaux et de les expédier par poste (Ray Johnson).
L'art c'est de dire " Regardez par la fenêtre
L'art c'est de ne plus signer (Georges Brecht).
L'art c'est de vendre des disques plutôt que de faire de l'art (Ben).
Alors bravo pour la jeune peinture méditerranéenne.
Bravo pour les Galeries Albert 1er. Bravo pour le Pop Art de lolas.
Bravo pour Braque, Picasso, Van Gogh. Gustave Flaubert.

Tract distribué au festival des art plastiques de Nice (1965)

Retour...

1965

QUESTIONS SUR L'ART

1) Qu'est-ce que l'art ?
2) L'art est-il indispensable ?
3) Quel est le but principal de l'art ?
– la gloire ?
– l'argent ?
– le bonheur ?
– le nouveau ?
4) Qu'est-ce qui est important en art ?
5) Le nouveau est-il indispensable en art ?
6) Quelle attitude ou quelle forme aura l'art dans 100 ans ?
7) L'art peut-il être pas Art ?
8) Le geste du créateur est-il essentiellement un geste égoïste ?
9) La femme est-elle créatrice au même titre que l'homme ? Sinon pourquoi ?
10) L'art en tant que culte de la personnalité est-il le reflet d'une politique réactionnaire, donc nuisible et inutile ?
11) L'art en tant que recherche du nouveau disparaîtra-t-il un jour pour se confondre avec la curiosité intellectuelle scientifique et philosophique ?

Remplir et renvoyer Centre d'Art Total, 32, rue Tonduti de L'escarène. Nice.

Retour...

1966

POUR FAIRE DU NOUVEAU APRES DADA

L'Art doit abandonner la notion périmée d'œuvre que l'on accroche, que l'on décroche et que l'on vend.
L'Art dit "d'avant-garde" ne doit plus être l'exploitation stérile de la démarche de Duchamp, décapité de sa jeunesse et de sa puissance mais verni, encadré, édonisé pour la petite bourgeoisie et les salles d'attente de dentistes.
L'Art doit quitter le circuit des galeries pour rejoindre la vie et par création se confondre à elle.
L'Art doit reconnaître qu'il est synonyme de prétention et que l'œuvre physique limite cette prétention qui se suffit pour tout se permettre. L'Art doit être l'enseignement généralisé donné à tous que tout le monde peut et doit vouloir faire du nouveau ; l'artiste n'appartient pas à une élite inapprochable seule capable de créer.
L'Art doit être Nouveau et dans le cadre de ce Nouveau :
Que l'Art ne soit plus Art Que l'Art soit de copier Que l'Art s'arrête Que l'Art soit même Arman Que l'Art soit cette protestation Que l'Art soit contradiction Que l'Art soit tout Que l'Art ne soit pas Ben.

(Tract distribué à l'occasion de l'exposition d'Arman au Musée Municipal de Saint-Paul-De-Vence, Juil. 1966)
Nice, le 8 Juillet 1966, Centre d'Art Total, Ben Théâtre Total, 32, rue Tondutti de l'Escarène, Nice.

Retour...

1966

LETTRE EXPEDIEE A 100 ARTISTES RATES

Nice, le 13 Mars 1966

Cher

Je voudrais, par la présente, vous exprimer mon admiration pour votre œuvre.
Depuis Dada en 1920,
le ready-made de Duchamp,
le supertemporel d'lsou,
l'indétermination de Cage
et Ma Prise de Possession de Tout
l'Art est Partout :
Attendre quelqu'un
Ecouter une mouche
Bouger le bras gauche
Tirer chaque jour un trait d'1 cm.
Ainsi le plus petit détail, au même titre que le plus grand, contient l'Art Tous les anciens préalables d'harmonie, de travail, de qualité, d'esthétique, ont été balayés
Tout est Art, et c'est dans le cadre de ce Tout possible qui permet absolument N'importe quoi que vous avez su parfaitement insérer votre œuvre
Restait la nécessité d'apporter du Neuf
Là encore, votre grand mérite a été de ne pas poursuivre dans la voie de recherche systématique, ouverte par Dada mais de vous attaquer à cette dernière barrière qui emprisonnait l'Art.
Vous avez compris qu'on pouvait et devait faire du Nouveau en ne faisant pas de nouveau car faire du Nouveau n'était plus Nouveau.
Prise de conscience que vous avez parfaitement réalisée dans votre œuvre qui cache sa réelle originalité et donne toutes les apparences du déjà acquis, construit autour de la Notion aujourd'hui périmée d'Art de qualité, que l'on travaille, que l'on achète, que l'on signe que l'on vend et qui est beau.
Mon admiration est plus grande encore lorsque, avec un réalisme extraordinaire, en grand maître du Non-Art, vous avez ajouté à cette œuvre physique, une œuvre de comportement par votre attitude d'Artiste de carrière, envers les Marchands, les Galeries et la clientèle dite d'Art.
Bref, vous apportez à l'Art le seul élément qui lui manquait, le Nouveau pas Nouveau et mon seul regret est que pour réussir une telle œuvre, le public ne puisse jamais rétablir la vérité.
Je suis et resterai donc le seul à savoir que vous l'avez fait exprès.

Ben.

Retour...

1966

IL FAUT QUE LA MUSIQUE CHANGE

John Cage après avoir préconisé une attitude théorique des plus révolutionnaires envers la musique et l'art, pratique aujourd'hui une politique de satisfait qui n'est pas en rapport avec ses enseignements
Cage a-t-il peur de pratiquer le nouveau ?
La principale caractéristique du nouveau est que lorsqu'il apparaît
Il divertit et étonne.
La musique d'aujourd'hui, qu'elle soit aléatoire, sérielle ou déterminée se ressemble trop et m'ennuie.
Il s'agit toujours d'une suite de sons et d'un public qui les écoute.
Puisque la musique peut tout se permettre car tout est musique,
Il faut tout changer.
Il ne faut plus placer les instruments aux mêmes endroits.
Il ne faut plus faire les mêmes sons.
Il ne faut plus faire de son du tout.
Il faut courir après le pianiste.
Il faut que les musiciens se cachent dans les arbres.
Il faut faire jouer les spectateurs.
Il faut que les musiciens jouent en marchant.
Il faut attacher et bâillonner le public.
Il ne faut rien faire.
Il faut administrer un somnifère à John Cage et l'écouter dormir.
Il faut pousser le piano (La Monte Young).
Il faut peindre le piano en blanc (Maclunas).
Il faut faire comme d'habitude ou il ne faut rien faire, mais surtout
Il faut tout se permettre et non pas uniquement proclamer que l'on peut tout se permettre.
La musique doit se libérer de la musique.
Il n'y a qu'un seul devoir celui d'être différent quel que soit le
Nouveau déjà atteint.

(Tout) Ben 1966

Tract distribué à un concert de John Cage à la Fondation Maeght

Retour...

1966

TRACT

Tout est musique – Plus de musique
Depuis la révolution Dadaïste, la musique indéterminée de John Cage et la musique Totale de Ben n'importe quoi peut être Musique et tout le monde peut en faire.
Il n'est donc plus nécessaire ni utile de donner des concerts de musique d'avant-garde.
L'art, le théâtre et la musique en particulier doivent être l'enseignement verbal à tout écouter, à tout voir, et surtout à rechercher parmi le tout possible toutes les visions, expériences et tous les sons nouveaux et imaginables. Cela parce que le nouveau enrichit l'homme.
Les concerts d'avant-garde tels qu'ils sont conçus aujourd'hui ne représentent en fait qu'une forme aiguë du culte de la personnalité. Ils séparent l'individu de l'artiste et font croire que l'artiste appartient à une élite inapprochable et que seul ce dernier peut faire de l'art.
Cela est faux. Il faut au contraire enseigner à tout le monde que tout le monde peut faire et découvrir de l'art. Il faut enseigner qu'il n'y a pas de belle ou laide musique mais uniquement de la nouvelle ou de la vieille musique et que toutes les musiques, le rock'n roll, le yé-yé, la musique militaire, le bruitisme, etc., se valent.

Ben-Fluxus, Nice.

Retour...

1966

L'ART EST INUTILE. PLUS D'ART

En 1966 l'Art doit devenir l'enseignement de sa propre réalité. La communication de cette Réalité changera l'Art et le fera même disparaître dans la mesure où grâce à elle les rapports entre l'homme et l'acte de création se transformeront.
Pour cela il faut enseigner :
1) Que le Nouveau enrichit l'homme et qu'il faut en diffuser, généraliser, démocratiser son acceptation, de sorte que le plus de monde possible veuille et puisse faire du nouveau.
2) Qu'il faut rechercher ce Nouveau en quittant les voies sclérosées de l'Art ; galeries, salles de concert, galas, vernissages, etc. voies qui perpétuent la fausse notion que l'Artiste est membre d'une élite sociale inapprochable, seule capable de créer un individu complexe, exclusif et professionnel séparé du commun des mortels par le Génie, et devant lequel il faut de l'humilité.
3) Que l'Art est synonyme de Moi (Prétention) et que l'œuvre d'Art physique actuelle avec tous ses rites, limite cette prétention. En éliminant cette œuvre physique, on libère la Prétention qui peut alors Tout se permettre, entre autres, sa propre transformation. Car face à son agressivité l'Artiste prendra conscience de l'universalité et de l'inutilité de celle-ci.
Son œuvre ne sera plus dans la communication d'une œuvre physique lui appartenant mais dans la diffusion de sa Vérité différente de toutes les autres mais non plus importante.
4) Que l'Art est réellement dans tout y comprit : pas d'Art, de copier, la contradiction, de ne plus faire de nouveau par nouveau.

Retour...

1966

HAPPENING ET EVENT

Il existe aujourd'hui deux interprétations du happening. La première est une manifestatIon extra-picturale. Ses principales caractéristiques sont :
1) Une transformation passionnée de la réalité grâce à des accessoires divers (plastique, papier, lumière, etc.) ;
2) Une suite d'événements insolites dont la trame est prévue et les détails improvisés ;
3) Un aspect généralement amateur de la présentation ;
4) Une certaine participation du public à l'action ;
5) Très souvent, en leitmotiv, un symbole politique ou sexuel.
La seconde interprétation, qui s'appelle par ailleurs Evénement, proposition théâtrale, est la représentation de la réalité par la réalité. C'est à communication de la prise de conscience que les détails de la réalité sont spectacle.
Ce n'est pas comme dans le happening extra-pictural une transformation passionnée de la vie, mais la représentation et la communication de la vie par des attitudes simples et réelles (boire un verre d'eau ou s'acheter un chapeau), état d'esprit que l'on peut résumer en disant : Tout est Art et l'Art c'est la vie. Pourtant, si chacun croit en ce Tout possible, chacun le communique à travers sa propre personnalité. Ce n'est donc que le tout de X., et l'Art n'est pas la vie mais la vie communiquée par X. Mon tout à moi est un tout de sincérité et de contradiction. Il veut être un tout illimité contenant tous les autres tout. C'est donc une œuvre de prétention.
Mon happening est dans la communication de cette prétention ; un seul cadre lui est possible : l'acceptation de toute réalité. Sa réalisation existe dans ma prétention, qui conditionne et cautionne la réalité que je communique et que je signe, quelle qu'elle soit.
Si je donne un spectacle, j'aurais pu aussi ne pas donner de spectacle. Le rideau s'ouvrira, il aurait pu ne pas s'ouvrir. Je pourrais vous montrer pendant une heure une allumette. Je pourrais vous emmener dans un théâtre voir jouer "patate" d'Achard. Je pourrais, bien ou mal, refaire un happening, ne rien faire. Je pourrais tout faire, car j'en ai la prétention.

(pour le catalogue de l'exposition de Céret)

Retour...

1967

BEN ABANDONNE L'ART

Si tout est art, il doit être possible de remplacer le mot tout par n'importe quel autre mot sans altérer le sens de la phrase. C'est comme si l'art éclatait et se multipliait en des millions de définitions différentes dont aucune ne serait ni plus ni moins vraie qu'une autre. En voici quelques-unes : Tout est Art, la Vérité est Art, le non-art, Tout est Prétention, l'Art est n'importe quoi, etc. est Art.
L'une des premières réalisations de la notion tout est Art a pris corps dans le ready made de Marcel Duchamp. N'importe quel objet devenait œuvre d'art, il suffisait d'y ajouter l'intention. Pourtant, l'œuvre de Duchamp reste conventionnelle et se différencie peu d'une œuvre classique, dans la mesure où il s'agit d'une pièce physique, accompagnée d'une signature, d'une date, d'une prétention d'artiste. (Le pop art, le nouveau réalisme, etc., sont I'hédonisation et la vulgarisation du ready-made, je n'en parlerai donc pas).
La vie est Art :
Elargissement et définition défendus par John Cage et ses disciples, mais ici, au départ, la situation est fausse, car dans la réalisation l'on ne peut séparer les mobiles de l'artiste, de l'œuvre qui se veut vie. Si la vie est Art, la prétention de l'artiste à vouloir le montrer est art aussi.
Et si cette prétention n'existe pas dans l'œuvre communiquée, ce n'est pas la vie que nous montre l'artiste mais uniquement le reflet de son ambition artistique. Je dirai même que la prétention, l'agressivité, l'ambition, sont, par rapport à l'œuvre, beaucoup plus vivantes. Ainsi, lorsque j'effectue une partition de Cage ou que je regarde drip music de G. Brecht, je ne peux m'empêcher d'y penser en tant qu'œuvre d'artiste et non pas en tant que vie. En fait, l'art n'est pas la vie à moins que cette vie ne soit vérité.
La vérité est Art :
C'est la divulgation en tant qu'œuvre des mobiles que l'artiste a pour créer. C'est-à-dire une introspection et une communication de son état vrai devant le geste de la création. C'est la réponse qu'il donne à la question "Pourquoi est-ce que je crée ?". Je conçois par exemple, la réalisation de la vérité est Art par une pièce de théâtre dans laquelle l'auteur viendrait sur scène donner les raisons pour lesquelles il fait du théâtre, non pas les raisons superficielles mais les raisons profondes, c'est-à-dire "pour la gloire", etc. Ce qui est important est que la vérité est Art change l'art, car la notion de création pour certains s'accompagne souvent de justifications inutiles et fausses (l'art pour l'art, l'harmonie, le beau, etc.).
Le non-Art :
C'est l'attitude actuelle de Marcel Duchamp et de quelques autres qui, après le ready-made, ne pouvant revenir à l'esthétique et à l'hédonisme de l'objet, mais toujours à la recherche du nouveau pour satisfaire leur prétention, leur ego, ont pensé qu'il serait nouveau de déclarer que la création artistique ne les intéresse plus ou pas. En réalité ils s'y intéressent beaucoup et surtout pour établir leur Ego dans le domaine du non-Art (encore du style).
L'Art est prétention :
Est une attitude moins hypocrite que le non-Art. C'est prendre conscience que la prétention est l'élément moteur de base de tout acte de création, et c'est assurer pleinement et jusqu'au bout cette Prétention. C'est-à-dire jusqu'à refuser d'accoupler cette prétention à une œuvre physique (la prétention suffit à elle-même).
Je citerai comme exemple ma pièce "Regardez-moi cela suffit La démarche de la prétention est très proche de celle de la vérité est Art. L'Art est n'importe quoi :
Il y a aussi ceux qui, tout en admettant que Tout est Art ne rejettent pas leur statut d'artiste mais adoptent une attitude fataliste envers l'œuvre d'art, Ils choisiront par exemple une forme quelconque, un rond, et décideront de ne faire que des ronds, car cela ou autre chose revient au même. C'est le cas d'après moi du travail d'Olivier Mosset et de certains minimal artistes.
La mort est Art :
C'est à ce résultat qu'est arrivé, après 10 ans de réflexions esthétiques, Ion Guiyot. Dix ans pendant lesquels il a systématiquement écarté toutes les formes d'art. Aucune, écrivait-il, ne peut atteindre son but. Ion Guiyot a été trouvé mort, le 10 juillet 1949, à Chimara, en Albanie. La veille, il avait écrit la phrase suivante "La mort est Art à condition qu'on meure ".
L'Art est inutile :
Lorsque Henry Flynt manifeste devant le Musée d'Art Moderne de New York, en portant un écriteau "Demolish serious art" il s'agit d'une prise de position politique contre l'art bourgeois. Lorsque par contre, je manifeste en disant que l'Art est inutile avec des affiches, à la Fondation Maeght, c'est le résultat de la réflexion suivante : si tout est Art, et si l'Art doit Etre toujours nouveau, combattre l'Art n'ayant pas été fait, je le combats en tant qu'œuvre d'Art. Mon attitude est donc Art.
Conclusion :
Si Cage dit "La vie est Art", si Duchamp dit "La compétition artistique ne m'intéresse plus" si Flynt dit "Il faut lutter contre l'Art", si je dis l'Art c'est la vérité, toutes ces déclarations et réalisations existent uniquement parce que leurs créateurs (égoïstes comme tous les artistes) cherchent du neuf pour jouer le jeu de l'art. (Être différents des autres).
Mais pour trouver du neuf dans les circonstances actuelles où tout est art, ces créateurs remettent en cause la règle du jeu. C'est comme si le jeu de l'art acceptait tous les coups y compris celui de permettre aux joueurs d'essayer d'arrêter le jeu.
C'est le cas de la vérité est Art, la prétention est Art, le non-Art, l'Art anonyme, l'Art est pastiche.
Mais le suicide de l'art est-il possible ? Il y a aussi ceux qui ne font pas de l'art. Mon marchand de vin qui vend des porte-bouteilles, l'épicier qui a marié sa fille, l'agent immobilier du troisième qui est mort.

Retour...

1967

TRACT

L'Art est inutile, Rembrandt, Botticelli ou Duchamp, Venet, Viallat, Alocco ou Raysse, Ecole de Nice, Ecole de Paris, Pop Art, ou Op Art, c'est toujours la même chose. L'Art ne change pas. Son but est dans la satisfaction du Moi des artistes ; leurs œuvres, leurs gestes, leurs paroles découlent du désir d'être importants (que l'on parle d'eux). S'ils font du nouveau c'est pour être, par prétention, différents des autres. C'est le cas de tous. Y compris des non-artistes, des anti-artistes, de Duchamp (qui parle de vie dans une interview signée Art). Aujourd'hui, au vernissage de l'Ecole de Nice, c'est la même situation que partout ailleurs. Restany, par prétention, veut être le seul préfacier. Il désapprouve et fait enlever les préfaces d'Arman, Lepage, et moi-même. Arman, par prétention, cherche à s'imposer en tant que chef, surtout par rapport à Martial Raysse.
Raysse, par prétention, refuse de s'associer, joue les prima donna, Assistera, n'assistera pas
De La Salle par prétention veut avoir une galerie de pointe.
Moi, Ben, par prétention, je voudrais marquer la différence entre art total, n'importe quoi et anti art par rapport au Nouveau Réalisme.
Farhi, Gette, Gilli, Klein, Malaval, Annie Martin, Venet, Verdet, Viallat, Arnal, Alocco, Strauch, Ben, par prétention, veulent
être de grands artistes.
Pourtant, nouvelle ou non, leur œuvre n'a aucune importance. Si l'on doit changer quelque chose ce n'est pas dans la forme mais dans l'épine dorsale même de l'art, c'est-à-dire le moi.

Texte écrit dans le livre d'or de la Galerie De La Salle à l'occasion du vernissage de l'école de Nice, le 18 Mars 1967.

Retour...

1968

POUR UNE POLITIQUE DE LA CREATIVITE

Dans une nation moderne ce qui détermine son progrès et sa richesse c'est la capacité et la possibilité des individus qui la constituent, de faire du nouveau. C'est-à-dire créer. C'est-à-dire d'être personnels. Par exemple, sur le plan industriel de découvrir, d'inventer, avec de nouveaux moyens, de nouveaux brevets, de nouvelles industries. Et cela, le gouvernement français l'a compris puisque depuis huit ans le nombre des chercheurs en France a plus que triplé.
Cette nécessité de créer, de faire du neuf, n'est pas seulement du domaine de l'industrie. Elle est nécessaire et indispensable dans toutes les activités humaines du pays. Et surtout dans l'agencement et la promotion de sa politique culturelle.
En art, malgré tous les attributs esthétiques dont on affuble les œuvres pour les définir et les expliquer : charme, harmonie, force, etc., la seule valeur constante employée toujours à n'importe quelle époque pour déceler l'œuvre d'art, est la nouveauté quelle contient; de cela découle que la copie est moins intéressante que la création, parce qu'elle n'enrichit pas l'homme, ni au niveau de l'individu, ni au niveau de la collectivité. En fait, la possession du nouveau par un individu, le différencie des autres et cette différenciation satisfait son ego.
Mais il existe une force contraire à la nécessité de faire du neuf. C'est la nécessité de conserver ce qui a été acquis. Cette force n'est pas un mal car il faut diffuser et communiquer ce qui a été découvert mais il s'agit là d'une autre structure.
Le mal vient lorsque l'équilibre entre la nécessité de faire du nouveau et celle de conserver ce qui a été acquis, est rompu et lorsqu'on confond l'une avec l'autre.
C'est actuellement le cas dans l'enseignement où, à partir de la 6ème jusqu'à l'Université, 7 heures de cours sur 8, sont consacrées à créer des robots reproducteurs et des spécialistes sans initiative En France, la création des Maisons de Culture est une initiative louable et indispensable. Mais cette initiative aboutira à un échec ou à une réussite selon qu'on donnera le pouvoir de décision aux créateurs ou aux administrateurs locaux (qui ne décideront qu'en fonction de leur électorat, et oublieront jusqu'à la définition même du mot création), je dis donc bien fort qu'il faut enseigner aux fonctionnaires et aux responsables culturels du pays que la recherche systématique, l'acceptation et l'amour du nouveau sur le plan individuel et collectif, sont absolument essentiels, indispensables à la nation, et qu'il faut généraliser et démocratiser son acceptation.

Retour...

1968

MA POSITION ENVERS L'ART


L'art est changement. En fait le devoir de tout artiste est de changer l'art de son époque, le plus possible.
Pourtant depuis que Dada a acquis que toute forme pouvait être art il est difficile à un créateur conscient de cette situation historique de poursuivre ses recherches dans le domaine des formes. Car du moment qu'elles sont acceptées d'avance, elles sont périmées d'avance aussi, par ailleurs, l'art est résultat d'Ego. Le créateur contemporain doit donc ou accepter la situation actuelle c'est-à-dire que l'art est " art prétention " et qu'il n'y a aucun moyen ni aucune raison de changer cela, ou, et c'est cette seconde position que je préfère, il envisage froidement tous les moyens qui pourraient transformer du tout au tout l'art (y compris la destruction de l'ego).
Je vous prie de croire à la sincérité de ces réflexions même si elles sont aujourd'hui dictées par le désir de gloire de mon Ego que demain j'espère détruire.

(Texte pour Intervention n° 1)

Retour...

1968

POUR CHANGER L'HOMME IL FAUT DETRUIRE LE MOI

À partir de la nécessité de faire du neuf et étant donné que depuis Dada toutes formes peuvent être art, il est impossible aux créateurs conscients de la situation historique, de poursuivre leur recherche dans le domaine des formes.
Aujourd'hui donc, en 1968, la recherche du nouveau s'attaque à la nature même de l'art c'est-à-dire le moi
Le créateur contemporain doit donc envisager tous les moyens qui pourraient effectivement et non hypocritement transformer du tout au tout l'art (phénomène créateur-ego) c'est-à-dire tous les moyens qui peuvent changer l'homme.
En voici quelques uns :
1) Une thérapeutique basée sur l'idée que l'agressivité n'est pas innée ni naturelle à l'homme mais qu'elle lui est imposée par les circonstances politiques économiques ou sexuelles et qu'en y remédiant on peut transformer lego.
2) Des expériences biologiques et génétiques de laboratoire en vue de la transformation de l'espèce humaine.
3) La découverte d'une machine à voyager dans le temps qui transformerait la notion de priorité.
4) Etablir des contacts avec une forme de vie supérieure extra-terrestre ou terrestre en vue du remplacement de l'espèce humaine et de sa psychologie basée sur l'Ego.
5) L'acceptation et la réalisation pratique du suicide individuel et collectif à tous les niveaux.
6) Une guerre thermonucléaire sale qui engendrerait des mutations psychiques fondamentales parmi les survivants du genre humain.

Faute de réaliser ce programme l'Art restera toujours une forme puérile de prétention.

Ben 1968

Retour...

1969

POUR CONCLURE

Toutes les idées d'art dites nouvelles et d'avant garde ne sont que des astuces de plus pour la gloire, et ne changent rien dans le fond. Rembrandt a trouvé un truc pour la gloire.
Ingres a trouvé un truc pour la gloire. Duchamp a exposé un porte-bouteilles pour la gloire. Et voila ici exposées des idées de Ben pour la gloire. Donc cela ne change rien.
Il n'y a pas mille réponses il n'y en a qu'une :
Changer l'Ego c'est-à-dire l'homme.
Mais pourquoi demander cela à l'art et pas à la science ? Parce que c'est l'art qui a atteint le premier le cul de sac :
La recherche du nouveau en art ne peut pas s'arrêter (pour des raisons d'ego) c'est l'art d'aujourd'hui qui est amené à proposer la transformation de l'homme.
Vive l'homme non ego.

Fin du chapitre "Idées" (1969)

Retour...

1969

MON ACTUELLE POSITION EN ART

1. Etant donné que la recherche de la nouveauté (création, personnalité) est l'élément de base de toute activité artistique (art, anti-art, non-Art etc.) il est du devoir de tout individu concerné lorsqu'il discerne une situation (dans l'art) de la changer.
2. Mais quelle est donc la situation qu'il doit changer ? Les artistes font leur œuvre non pas pour l'œuvre mais pour la gloire (se différencier des autres, pour que les autres parlent d'eux) en d'autres mets dans toute l'histoire de l'art la forme a continuellement changé mais la position de l'individu envers la forme est restée la même (signature, copyright, date).
3. Conscient de cette situation il faut la changer (peut être pour être grand et lorsque les autres parlent de moi plus important sera le changement dans la situation plus important je serai moi).
4. Mes premières tentatives seront : de changer de nom, de ne pas signer. de montrer la vie, de changer de style, de passer inaperçu etc.). Mais bien sûr il ne s'agit là que d'idées c'est-à-dire d'œuvres comme toutes les œuvres qui bien qu'éclairant le problème ne dérangent en rien la situation millénaire de l'Ego en art.
5. Ayant donc conclu à l'échec de telles tentatives qui font partie plus que jamais du jeu que je désire changer je suis angoissé, déprimé, et je conclus que mon désir de changer l'homme est peut-être impossible je me retourne alors naturellement vers des solutions politiques ou psychologiques. Mais partout la situation est la même qu'en art.
7. Si entre temps, on me demande : pourquoi vouloir changer l'homme pourquoi ne pas le laisser tel qu'il est ? Je réponds parce que je ne peux pas m'en empêcher.
8. Me revoilà revenu au point de départ obligé cette fois de prendre en considération des positions beaucoup plus extrêmes. Telle celle de Flynt "Rejetons la race humaine" dans laquelle il propose entre autres une collaboration avec toutes formes de vie supérieures venues de l'espace en vue d'attaquer et de détruire la race humaine" Personnellement je considère que la découverte de la télépathie à l'échelle universelle pourrait changer beaucoup et comme "sponsor" j'ai l'intention de donner 100.00 FF à toute personne pouvant découvrir et réaliser une méthode pratique et ou pédagogique de la télépathie.

(Car la vérité changera l'art. Ben)

Retour...

1969

PROPOSITIONS POUR CHANGER l'EGO

1. Changer de nom
2. Décider ce qui est mauvais et le faire
3. Ne jamais dater une œuvre exactement
4. Passer inaperçu
5. Dire la vérité
6. Copier et pasticher
7. Se suicider
8. Faire tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre un autre artiste heureux.
9. Perdre complètement ta mémoire.

J'ai honte
- Ben.

Retour...

1971

NOTES POUR UN ART SUBJECTIF

Une analyse complète d'une œuvre d'art ne peut avoir lieu sans la connaissance de sa motivation au niveau du sujet créateur. Car l'œuvre (matériel) ne possède aucune qualité esthétique en dehors de celle créée par rapport à sa motivation dans le temps.
Je m'explique : une œuvre de Matisse ou de Klein ou d'un autre n'a d'importance que dans la mesure où à une époque X., elles apportaient quelque chose Z que les autres artistes n'avaient pas déjà apporté. Et cela non pas par hasard, mais intentionnellement. L'importance de Z seul n'existe pas, cette importance n'est que par rapport à sa motivation.
Mais au cas où l'on réfuterait mes arguments en disant que tout ceci concerne l'artiste créateur et non le spectateur qui trouve des qualités en Z, je soutiens que la même opération se joue au niveau des spectateurs qui apprécient l'œuvre Z uniquement par rapport à une échelle subtile de rapports de forces avec les autres (spectateurs). L'œuvre A n'est donc en fait qu'un substitut à la prétention d'abord du créateur et ensuite du spectateur.
Personnellement dans mon travail, je fais apparaître cette motivation. Exemple le tableau : "je suis jaloux ", ou bien " Si je peins c'est pour la gloire ". En d'autres mots, mon travail contient une réflexion de l'art sur lui-même au niveau du moi créateur et d'une introspection freudienne.
Mon but est d'ouvrir l'abcès de l'art, guérir le malade (la motivation de l'art est agressivité). Quand nous connaîtrons tout du pourquoi de l'art, nous pourrons peut-être passer à autre chose.
Cette étude de ma motivation à créer m'a amené entre autres, aux trois conclusions suivantes :
1. qu'une transformation fondamentale (et non de forme seulement) de l'art ne peut s'accomplir qu'après la transformation de sa motivation.
2. que cette transformation de la motivation n'est autre que la transformation de l'homme.
3. que la transformation de l'homme conçue ainsi à partir d'un but esthétique de recherche de nouveauté est moins entachée d'hypocrisie que les recherches de transformations de l'homme à partir des buts politiques qui, eux, contiennent toujours les motivations égoïstes impérialistes.

Retour...

1972

L'AVANT GARDE EN FRANCE

Sont d'avant-garde en France, ceux qui apportent du nouveau en art. Mais qu'est-ce que le nouveau en 1972 ?
Après le ready-made de Marcel Duchamp qui contient le message du "tout est art" un créateur conscient de la réalité historique ne peut poursuivre ses recherches dans le domaine des formes en espérant faire autre chose que de la nouveauté de forme et cela n'est pas de l'avant-garde, c'est de la variation.
C'est ainsi que j'éliminerai le "body-art" le "poor-art", le "nouveau réalisme", le "land art", qui ne sont que des exercices de mode qui n'apportent rien par rapport au fond mais uniquement dans la forme.
Aujourd'hui en 1972, la recherche du nouveau en France et ailleurs s'attaque à la nature de l'art et du geste créateur.
A partir de cette réflexion je constate plusieurs directions que je sépare ici, par besoin de clarté, mais qui, en fait, s'interfèrent.
1. Le non art. C'est l'attitude de ceux qui, après le ready-made ne voulant pas revenir à un esthétisme de l'objet, Ont pensé qu'il serait nouveau donc personnel de déclarer que la création artistique ne les intéresse plus ou pas. En réalité ils s'y intéressent beaucoup et surtout pour établir leur Ego dans le domaine du non art.
2. La connaissance de l'art au niveau de la matière. C'est-à-dire une reconstruction ou une déconstruction de l'œuvre en éliminant l'anecdote et l'individualisme. C'est en quelque sorte un retour aux sources de la matière : le pinceau, la trace, la toile, le support, etc. Ma critique de cette tendance est qu'elle n'apporte rien de neuf car une connaissance de l'œuvre d'art ne peut exister
sans la connaissance de sa motivation totale au niveau du sujet créateur. L'œuvre matérielle ne possède aucune qualité esthétique en dehors de celle créée dans ses rapports avec sa motivation, Il y a malhonnêteté de soutenir une peinture anti-subjective pour des raisons subjectives.
3. La théorisation de l'art. C'est la nécessité d'expliquer, d'analyser l'art en tant qu'art pour dépasser le cul de sac de la forme. Cette attitude explique qu'à l'heure actuelle il y ait juxtaposition d'œuvre et de théorie.
4. L'art anonyme et l'anti-nouveau. La notion de nouveauté est aujourd'hui une règle si unanimement adoptée qu'elle a pris toutes les apparences du conformisme et qu'une véritable nouveauté tend à avoir pour fonction de la remettre elle-même en question. En tant que déclaration cela peut paraître neuf mais le contenu n'est pas être le premier c'est comme vouloir être connu à ne pas vouloir être connu. Poser le problème est intéressant mais tricher pour le réaliser est inadmissible.
5. L'anti-art. Un véritable anti-art ne peut être conçu qu'à partir d'une prise de position politique, dans laquelle après s'être aperçu que l'art représente une forme d'agressivité nuisible, on aurait volontairement opté de le combattre. En fait l'anti-art en France reste au niveau de l'astuce.
6. La vérité est art. C'est la divulgation en tant qu'œuvre d'art des mobiles, jalousie, ambitions, qu'a l'artiste dans son geste créatif. C'est-à-dire l'introspection et la communication de son état vrai. Cette attitude veut changer l'art en ouvrant l'abcès d'hypocrisie et de fausses justifications (l'art pour l'art, l'art pour le beau, l'art pour la politique, etc...)
7. L'a-art. Qui est à la fois une indifférence à l'art et une largesse d'esprit envers tous les arts veut un monde riche de nouveaux différents dans lequel toutes les idées seraient acceptées.
(Mais ne soyons pas malhonnêtes, tout accepter est une astuce supra-conceptuelle aussi).
8. Les génies de bistro. J'emprunte ce titre à Filliou. On pourrait aussi les appeler les "ratés de l'art" ou "ceux qui clochent". L'une des caractéristiques de cette tendance est de désacraliser l'art professionnel, une autre est l'invention pour le plaisir d'inventer.
En conclusion, je dirai que malgré que la plupart de ces tentatives soient en contradiction avec elles-mêmes et impossibles à réaliser, néanmoins, par rapport au reste (qui n'est que la fabrication d'œuvres sans problème) c'est indiscutablement toutes ces attitudes qui représentent l'avant-garde en France aujourd'hui.
C'est-à-dire Viallat, Mosset, Venet, Buren, Support Surface, Parmentier, Filliou, George Brecht, Ben, etc.

Retour...

1973

POSITION ET PROGRAMME POUR UNE GALERIE

1. Un programme doit être la suite logique d'une position. Voici le mien.
a) L'art a été toujours et est contenu dans l'épuisement des possibilités (à partir de la règle du nouveau, un de mes axiomes).
b) Depuis le ready-made de Marcel Duchamp et son tout = art certains champs de possibilités (la forme, l'esthétisme, etc., semblent taris) et l'art, pour ne pas se répéter, c'est-à-dire pour dépasser le tout possible, doit obligatoirement s'établir à partir d'une attitude par rapport à ce tout possible.
2. Contrairement à certains critiques qui ne conçoivent cette situation qu'à partir d'une ou deux tendances (pratique picturale et pratique analytique), je pense que la création post Duchamp peut apparaître dans toute œuvre où il y a eu prise de conscience de la situation Post-Duchamp et réaction par rapport à cette situation.
C'est comme si, tout d'un coup, dans le parc où les artistes allaient se promener tous les jours ils trouvaient un matin un grand obstacle. Ils seraient obligés de réagir par rapport à cet obstacle. Certains vont l'accepter et l'imiter.
Ils seront les héritiers directs (nouveaux réalisme et pop). D'autres vont l'ignorer, l'attaquer, passer à côté, l'oublier, etc.
La tendance qui m'intéresse le plus, c'est celle dans laquelle je peux sentir un désir de dépassement et non pas d'imitation ou de réaction conservatrice.
3. On peut imaginer notre artiste assis sur une chaise face au porte-bouteilles.
Ici le mot porte-bouteilles remplace le mot (art) ou (art-vie). Georges Brecht se sert du porte-bouteilles (events). Buren (hypocritement), essaie de sortir le porte-bouteilles de la galerie pour le mettre dans la rue (art-anonyme).
Charlier ignore ou fuit le porte-bouteilles et vit à côté (le porte-bouteilles le fait souffrir).
Viallat et quelques professeurs des art déco (par nostalgie de la peinture) déconstruisent picturalement le porte-bouteilles.
Sol Lewitt tente d'épuiser toutes les possibilités des espaces "porte-bouteilles".
Filliou s'intéresse au porte-bouteilles pas fait, mal fait ou bien fait. Pleynet réécrit l'histoire du porte-bouteilles.
Mosset peint toujours le même porte-bouteilles. Parmentier en a assez des porte-bouteilles.
John Cage dit "n'importe quel porte-bouteilles dans n'importe quelle situation m'intéresse"
Art and Language étudie l'incidence du mot porte-bouteilles. Henry Flynt veut changer l'homme afin de faire disparaître la nécessité du porte-bouteilles.
Ben parle des motivations pour lesquelles tous les artistes s'intéressent au porte-bouteilles (lui-même fait cela pour la gloire).
Pineau enferme le porte-bouteilles dans une galerie dont il photographie la porte fermée le dimanche après-midi.
Fluxus dit : "En galère les porte-bouteilles, l'art est fait pour s'amuser", Takako oublie le porte-bouteilles pour retourner au plaisir de dessiner. Marcel Broodthaers se moque du porte-bouteilles, etc., etc...

Retour...

1973

NON ART FACE A PEINTURE

Il s'agit de défendre ici le non-art, l'anti-art, l'art anonyme, la vie est art. De les défendre face à ceux qui les attaquent : la nouvelle Peinture. La situation est, schématiquement parlant : d'une part, l'affirmation que l'avant-garde est la peinture, d'une autre, l'affirmation que l'avant-garde est le "non art"
Je vais, pour établir mon argumentation avoir besoin de trois données : l'homme, l'histoire de l'art et l'axiome qu'une création est supérieure à son pastiche, ainsi que d'un peu de bon sens. L'homme, l'élément producteur, possède un ego. Une des constantes immuables de cet ego (quelles que soient les déterminations politiques, historiques, etc.) est que dans son " faire" il y a satisfaction lorsque le produit est différent de celui des autres et qu'il apporte donc quelque chose de nouveau.
A partir de cette considération préliminaire, je déduis que, pour faire de l'avant-garde en 1973, il faut avoir connaissance des créations passées et, par rapport à celles-ci, faire autre chose.
C'est ici qu'intervient le porte-bouteilles de Marcel Duchamp et sa place dans l'histoire de l'art.
D'après moi, que son créateur l'ait voulu ou non, que les peintres le veuillent ou pas, l'arrivée du porte-bouteilles sur la scène de l'art en 1974 réalise la coupure "tout est art".
Cette coupure transporte la peinture dans la non-peinture et ouvre le débat qui se situera alors autour de la notion de champ spécifique (le porte-bouteilles n'est pas de la peinture).
Pour moi la peinture n'étant pas un but en soi, elle n'a pas de champ spécifique autre que celui contenu dans l'intention de son créateur qui le place par rapport à une situation dans laquelle il est en compétition.
La peinture peut donc devenir a-peinture, non-peinture, pas-de-peinture. Et toute restriction du champ de la peinture à un champ spécifique de couleur/nature/espace, est régressif parce que restrictif, par cela même qu'il bloque, limite, arrête, le seul but de la peinture qui n'est pas peinture mais création.
Matisse et Duchamp, comme Kosuth, Viallat, Dezeuze, Buren et Ben se battent sur le même terrain : pour qu'on dise de chacun d'eux, dans la peinture, "il est le plus important". Ils ont choisi des armes différentes mais l'adversaire et sa mort sont implicites dans la règle du jeu (pour eux).
Revenons au porte-bouteilles. Comme toute création, dès qu'il apparaît il crée une situation de connaissance qui va modifier les champs de possibilités postérieurs à deux niveaux différents :
1) en bloquant tout un champ de variations possibles par rapport à lui-même.
2) En portant le problème de l'art à un niveau à partir duquel il ne doit plus redescendre, c'est-à-dire que, d'après moi, le " tout est art de Marcel Duchamp. en admettant d'avance la possibilité de toutes les formes, dans le contexte de la peinture, les désamorce pour l'avenir. Se rendre compte de cette situation est ce que j'appelle être post-Duchamp.
La peinture au niveau de la forme ne représente alors qu'un tiroir que Matisse a oublié de refermer.
Notre seconde querelle concerne la position de certains (je pense à Cane) qui donne une valeur politique et décide après une analyse matérialiste, au nom de la lutte des classes, qu'une certaine peinture est progressive par rapport à une autre qui est régressive.
La peinture progressive contenant des éléments objectifs d'une pratique dialectique matérialiste par rapport à l'autre, représentant une pratique idéaliste, appartenant et travaillant pour l'idéologie dominante. Ici, je suis doublement critique.
Tout d'abord parce que poser un préalable politique à une création me parait très dangereux. Le seul préalable acceptable serait d'accepter de voir s'enrichir l'espèce humaine dans le cadre d'une libre concurrence dans la liberté de création. Cela touche directement au concept de liberté de création et même à un académisme stérile. Ensuite, parce que ça se casse la gueule tout seul. Je m'explique :
si ceux qui ont cette position avaient abandonné tous les critères d'historicité de l'histoire de l'art bourgeoise pour reconstituer à partir de zéro une autre histoire de l'art, cela aurait été intéressant. Mais en gardant, même à un niveau restreint, le critère création supérieure au pastiche, ils ont laissé ouverte une brèche qui coulera leur bateau.
Il suffira sur le plan de l'information et de la communication de prouver que leur travail, quelles que soient les règles de matérialité, est un pastiche d'autre chose déjà affirmé pour qu'il rentre dans le bercail du champ de l'historicité bourgeoise.
Si par contre, au niveau de cette même historicité, leur travail est créatif et possède un apport, cette même historicité bourgeoise le récupérera aussi dans son champ idéaliste.
Cela dit, revenons à l'anti-art, le non-art, l'art anonyme.
Au premier abord tous ces concepts sont absurdes, je dirai même ridicules, sinon des non-sens. Un art qui ne veut pas être art, un art qui est contre l'art, ce n'est pas de l'art. Et pourtant après "tout est art" de Duchamp la création ne peut venir que de ces attitudes. Je m'explique :
Avec le porte-bouteilles la situation a changé mais notre artiste lui n'a pas changé.
Toujours égoïste il lui faut à tout prix être différent des autres c'est-à-dire apporter quelque chose.
Et. étant donné qu'il ne peut plus puiser dans le puits des formes, il va naturellement non pas s'intéresser au contenu de l'art mais à la nature même de l'art.
C'est-à-dire que s'il ne peut pas changer quelque chose dans la chambre, il essaiera de changer la chambre ou de quitter la chambre.
Il va prendre l'art comme matière (support) de son travail. Dans les faits, ce travail se traduit alors par des gestes, des actions. des œuvres qui représenteront une position envers l'art. Ainsi George Brecht élève de John Cage, par un "event". voudra faire disparaître l'art dans la vie.
Et dans la peinture, les seuls qui m'intéressent seront ceux qui proposeront une anti-subjectivité à partir d'une pratique du plaisir. Je pense à Deleuze.
Ma propre conclusion par rapport à la situation post-Duchamp est qu'aucun changement fondamental en art n'est envisageable tant que les règles mêmes du jeu ne sont pas changées, c'est-à-dire que pour avoir une nouvelle situation il faut changer le dénominateur commun de tout art. 'EGO et. pour réaliser cela, il faut d'abord ouvrir l'art comme un abcès, au niveau objectif et subjectif d'où mes travaux sur la vérité : vérités objectives (ma toile " toile ") et surtout vérités subjectives voulant mettre à jour les motivations de l'acte créateur d'où aussi, ma déconstruction totale qui est un travail de connaissance de tous les éléments contenus dans l'art à tous les niveaux : matière, histoire, sujet, etc.

Retour...

1973

INTERVIEW AVEC IRMEMINE LEBEER

Ben, tu as fait de la musique, lu as fait du théâtre, lu as fait de la peinture, de la poésie, des films, des textes théoriques, des gestes, des objets (pour ne pas parler de ta troupe, de ta boutique, de ta galerie, de ton journal) : est-ce que tout cela s'est développé simultanément ou dans l'ordre ?

Je n'ai pas fait de la musique ou du théâtre – j'ai fait du nouveau en général. Si j'avais pu faire
du nouveau dans l'habillement, je l'aurais fait. Je cherchais à faire du nouveau.
Alors, lorsque je rencontrais des poètes, je leur disais : attendez, vous allez voir, moi j'ai quelque chose
à vous montrer et je faisais de la poésie.
Ou pour le théâtre, je me rappelle qu'il y avait une troupe à Nice et qu'on parlait beaucoup de théâtre, alors, immédiatement, j'ai voulu montrer que je pouvais faire plus qu'eux, plus nouveau qu'eux et j'ai fait du théâtre,

Ah bon : ça n'a pas été d'abord un besoin d'expression spontané ?

Si : le tout est un besoin d'expression dans la mesure où tout petit, j'étais déjà en compétition, j'étais exhibitionniste.
En classe, je roulais les r et les autres enfants se moquaient de moi. Alors j'ai décidé qu'il valait mieux être ridicule que banal. Mon souvenir le plus lointain, c'est que je me baladais avec un os accroché au cou. Je voulais me faire voir.
Ensuite, j'ai tenu une boîte de nuit. J'avais ma bande, la bande à Ben, Ensuite, je cherchais le nouveau systématiquement.
Je travaillais dans une librairie et je feuilletais les pages des livres d'histoire de l'art. Quand je ressentais un choc, c'était bon. Alors, j'ai développé la théorie du choc (je devais avoir 15, 16 ans) :
il fallait choquer pour que ce soit bon.
Le choc était synonyme de personnalité, synonyme de style, synonyme de création parce qu'il signalait un élément qui n'était pas là avant. Du moment où je choquais quelqu'un, je l'étonnais, je lui apportais quelque chose. C'était, si tu veux, la base de ma théorie du nouveau. En fait – sauf peut-être un peu en musique – je n'ai jamais fait de l'art
que par rapport à cette approche fondamentale. Et dans l'histoire de l'art. je cherchais tout ce qui allait avec mon schéma.
Ainsi, Duchamp, cela a été un choc : c'était l'homme qui choquait le plus on était donc copains. Yves Klein faisait son bleu, c'était un absolu nouveau, c'était automatiquement le copain. John Cage disait : n'importe quoi est musique : automatiquement j'étais pour.

Et ton nouveau à toi : qu'est-ce que tu estimes avoir apporté de plus original à l'histoire de l'art ?

Mon nouveau à moi a suivi plusieurs étapes. Dans un premier temps (de 1960 à 1962), c'était l'appropriation.
C'était simple : le nouveau, c'était de faire ce qui n'avait pas été fait, Donc, je faisais des listes de choses qui avaient été
faites et ensuite, je prenais le dictionnaire et je cherchais ce qui n'avait pas été fait. Je tombais sur le mot "poule" :
est-ce que quelqu'un avait signé les poules ? Non ? Je signais les poules. Les coups de pied.
Quelqu'un avait-il fait des coups de pieds ? Non ? Je donnais des coups de pied signés Ben.
C'était un combat, mais la régie du jeu n'était pas de moi : à partir du tout-est-art de Marcel Duchamp, on pouvait tout prendre, donc il tallait s'approprier le plus de choses possibles et c'était le jeu de l'appropriation ou, si tu veux, de la super appropriation : il fallait prendre possession des choses avant les autres.
A l'époque, à Nice, je connaissais un peu Klein, un peu Arman et comme Klein avait pris le bleu, l'air, le vide, il fallait que je trouve des absolus plus absolus que les siens.
Un jour, je me suis avancé et j'ai dit à Yves : tu as pris le monochrome, tu as pris le feu, mais moi, j'ai quelque chose de plus fort dans ma main. Il m'a demandé quoi et j'ai dit : dans ma main, j'ai une balle de ping-pong et dans cette balle de ping-pong il y a Dieu ; tu n'as pas signé Dieu, moi je viens de signer Dieu.

Tu en as fait beaucoup ?

Non pas beaucoup. Je n'ai jamais fait comme Arman une systématisation complète. Une dizaine peut-être. Puis j'ai signé la mort, le mystère, le manque, le déséquilibre, tout, rien, la vie, les trous...

Tu ne crois pas que ce qui t'a le plus intrigué, ce sont des choses qui, en vérité, sont inappropriables ?

J'ai toujours aimé les absolus. C'est-à-dire les contraires. Renverser les situations. Le manque m'a fasciné, la boîte-mystère m'a fasciné dans la mesure où ils étaient liés à la notion d'absence. J'ai fait des absences d'œuvres d'art : absence d'œuvre d'art. Comment montrer l'absence d'une œuvre d'art ? En la cachant. Et alors pour ne pas faire de son cache un œuvre d'art non plus, j'avais fait une boîte sur laquelle il y avait une inscription – c'est le texte qui compte –disant : "Dans cette boîte, il y a une œuvre d'art, mais sa valeur est dans son absence. Du moment que vous connaîtrez l'œuvre d'art, elle perdra toute valeur esthétique".
Un autre absolu : la vitre. Je m'étais dit "comment battre Klein" encore – c'était mon ennemi, je devais me battre avec les gens, c'était simple Klein a fait le monochrome. Mais plus fort que le monochrome : la transparence. Alors j'ai signé des vitres, en bas dans le cpm. Après, je réfléchissais. La mort – très important la mort. Quand on meurt, toute la situation est réglée. C'est une œuvre d'art absolue, nette, claire. Je signais la mort.

Tu as aussi signé les autres ?

Qui – là, c'était le problème de la ressemblance qui m'intriguait. Il y avait des artistes qui faisaient des portraits. Et je trouvais que le portrait le plus ressemblant qu'on pouvait faire et qui était très facile à acheter, qu'on pouvait tous avoir chez soi, qu'on pouvait tous mettre au mur, dans un cadre Louis XV ou Louis XVI, c'était un miroir. Alors j'ai fait "Votre portrait" : le miroir.
Ensuite, je me suis dit : ils veulent des sculptures – mais quelle est la sculpture la plus simple ? La plus claire ? Et qui bouge en plus : c'est l'être humain. Au lieu de passer des heures à en sculpter dans du marbre qui va se casser – il y a des millions d'être humains qui se baladent. Je vais en prendre un, je vais le signer et ça me simplifiera la vie. Et alors j'ai acheté des sculptures vivantes. En 1959, quelqu'un m'a vendu sa tête et en 61 son corps complet. Il y a antériorité sur Manzoni.

De là à franchir un pas et tu t'exposais toi-même comme sculpture vivante dans "Regardez-moi cela suffit" ?

"Regardez-moi cela suffit", c'est un premier geste ego – très important – qui contient tout un message différent. La sculpture vivante, c'est la prise de possession d'un homme en tant que sculpture. Mais dans "Regardez-moi cela suffit", il y a un problème dont on n'a pas encore parlé et qui est celui de la prétention. Elle est liée à la notion d'agressivité et fait partie de mes vérités subjectives.
L'art est une forme de prétention.
Or, un jour on m'avait demandé une pièce de théâtre et je me suis dit : je fais une pièce de théâtre, pourquoi ? Pour qu'on me regarde. Donc pas la peine de faire quelque chose, je vous demande directement de me regarder. Et je me suis montré pendant deux heures avec un panneau "Regardez-moi cela suffit".

Tout à l'heure, tu as parlé de tes "vérités subjectives" : Qu'est-ce que c'est ?

C'est ma deuxième période, qui a suivi celle de l'appropriation. En 1962, j'avais signé les vérités. Les vérités objectives d'abord, c'était un absolu qui m'intéressait. Un et un font deux : une vérité – je la signais en tant qu'œuvre d'art. Ensuite je me suis embarqué dans les vérités subjectives. J'avais été invité à une exposition de groupe et je m'étais dit : je vais mettre un tableau, mais qu'est-ce que je vais mettre comme tableau ? Je vais mettre la vérité de ce tableau – au lieu de peindre une toile qui représente une forme x, une forme abstraite qui représentera
ma personnalité. Etant donné que cette "personnalité" n'est qu'une excuse pour mon ego qui a envie de se faire voir, je vais enlever l'excuse et je vais mettre mon ego le plus simplement possible sur le tableau. c'est-à-dire "Je veux que vous me regardiez", "Je veux la gloire", "Je suis jaloux des autres artistes" – je disais les raisons pour lesquelles j'aurais fait un graffiti quelconque. Je montrais la vérité subjective du tableau.

Il t'arrive aussi de monter sur un socle et de dire la vérité...

Oui, il y a des fois où ça passe. Et des fois où ça ne passe pas. Des fois où ce n'est qu'une astuce et des fois où je ferme les yeux, je monte sur le socle et je dis la vérité. Et je sais qu'il y a des gens qui sentent la vérité (certains ne comprennent pas) et qui disent : Ben, il nous a donné une demi-heure de vérité. Comme si je leur avais donné quelque chose de palpable.
Parce qu'ils peuvent me poser n'importe quelle question, je suis prêt à répondre je suis prêt à TOUT dire. Et ils ont cette impression de vérité, ils rentrent chez eux en disant : j'ai vu une œuvre d'art qui s'appelle la vérité et je l'ai sentie. J'ai senti la vérité.

Il faut beaucoup de courage pour faire cela

Non, mais cela a été très important pour moi, parce qu'en essayant de dire toutes les raisons pour lesquelles je peins, tous les gens dont je suis jaloux, j'ai été amené à m'intéresser aux motivations subjectives de l'acte créateur : je me suis dit que l'art n'était qu'une forme d'agressivité. que ce jeu du nouveau au niveau de l'appropriation ne mène nulle part, qu'il faut dépasser le tout-est-art de Duchamp. Donc, pour changer l'art, il faut que je me change moi-même, il faut que je me suicide, il faut que je devienne non égotiste, que j'abolisse mon ego.

Tu veux devenir un artiste non-agressif pour faire du nouveau en art ?

Voilà. C'est par agressivité envers les autres artistes que je veux devenir non-agressif.

Ben, tu as dit : "tout est art" ?

Qui, je sens que Duchamp n'a pas assez bien fait le boulot et je veux le terminer. Pour le problème de la totalité, si lui ne l'a pas fait, moi je dis : je signe tout, comme ça, l'affaire est réglée.

Mais est-ce que tu n'as pas dit aussi : "rien n'est art" ?

Oui. Puisque tout est art et dans tout il y a rien (Rires). Dans le cadre de l'épuisement des possibilités, il faut que je prenne possession du rien (Rires).
Moi, ça me semble logique à partir du moment où tu me prends comme une de ces machines de science-fiction qui doit manger des choses. Elle commence par manger la table, les livres, elle mange un machin qui s'appelle tout et un machin qui s'appelle rien.
Alors, une fois que j'ai signé rien, il faut que je signe autre chose, je signe n'importe quoi. Une fois que j'ai signé n'importe quoi, je signe ne pas signer, une fois que j'ai signé ne pas signer, je signe me mordre –non, ça je trouve que c'est déjà en retrait donc je l'abandonne – une fois que j'ai signé ne pas signer je signe signer : ne rien signer, ne pas signer, signer, je m'empêtre dans tous ces absolus, ces tautologies, ces retournements.., et je pense que ça va m'emmener quelque part. Je continue. Je suis une petite machine de science-fiction qui rentre ici et qui doit tout bouffer. Tout ce qu'il y a.

Et quel est ton dernier état ? Ton actuelle position en art?

C'est de me bouffer moi-même et je n'y arrive pas.

Ben, maintenant que tu as la gloire, qu'est-ce que ça te fait ?

De toute façon, "Je veux la gloire" était un concept –mais je n'ai pas la gloire.

Qu'est-ce que tu entends par gloire alors ?

C'est une matière sur laquelle je travaille comme d'autres travaillent avec la couleur. J'essaye de l'analyser : il contient le problème de lego, de la différence, du désir d'être par rapport aux autres, tout ça. Quand j'écris sur un tableau " Si j'expose c'est pour la gloire c'est une vérité : je veux montrer mon désir de gloire.
Mais je ne crois pas que je l'aie, ça non. Pour que j'aie l'impression d'avoir la gloire, il faut que je sois sûr qu'il y a vraiment un apport de ma part.

Mais tu ne peux pas mesurer cela toi-même ?

Je passe mon temps à mesurer. Je donne des notes aux gens. Je me donne des notes. Je me juge.

La gloire, c'est toi qui te l'attribues ? C'est un problème que tu règles avec toi ?

Absolument. La gloire en tant que publicité, cela ne m'intéresse pas tant.

Le jour où tu auras la gloire, ce sera comment ?

Je n'aurai jamais la gloire. C'est une chose qu'on poursuit et qui s'éloigne au fur et à mesure. Puis il y a gloire et fausse gloire, tout ça. Je ne suis jamais satisfait de ma gloire. Je suis inquiet, très inquiet. On parle de moi dans une revue, je suis inquiet. Parce que je me fais le raisonnement qu'on ne peut pas toujours parler des mêmes. Donc, demain
on va m'oublier. Dans la mesure où je suis une machine insatisfaite, cette insatisfaction va se perpétuer.
Je ne vois pas la fin de la gloire. C'est comme pour le bonheur. On ne l'attrape pas.

Mais j'ai l'impression que ton agressivité se tourne surtout contre toi-même puisque tu parles de suicide, que tu te rejettes, que tu voudrais être autre : c'est une véritable agression contre ton ego.

Parce que je ressens l'ego comme une chambre fermée. Il y en a qui ne sentent pas que la chambre est fermée, qui croient qu'il y a encore un tas de possibilités dans cette chambre, qui sont encore à changer de couleurs, de formes... Mais moi, personnellement. je sens lego qui m'emprisonne. J'ai envie de ne pas signer, je signe, j'ai envie de ne pas me faire voir, je me fais voir. (Lors d'un vernissage, ayant envie d'être présent mais ne voulant pas me faire voir parce que j'avais honte de me faire voir, j'avais trouvé la solution de prendre des suppositoires pour dormir). Donc, les grilles qui m'enferment, c'est mon ego et c'est normal que je m'y attaque. Et je vois lego chez les autres artistes, c'est pour ça que mon message, je l'adresse aussi indirectement aux autres en leur disant : " Pour changer l'art il faut changer lego Mais peut-être n'est-ce pas leur problème, à eux. George Brecht me dit que c'est une erreur. Il me dit : tu crois que tout le monde est jaloux, mais tout le monde n'est peut-être pas jaloux. Mais cela dépend du sens qu'on donne au mot jalousie. Je crois qu'on est toujours en compétition avec un plus fort, on est toujours dans un rapport de force avec un rival – imaginaire ou vrai. Du moment qu'un artiste fait quelque chose de différent il se situe par rapport aux autres. Du moment qu'il se place par rapport aux autres, il y a agressivité. Cette agressivité, il ne la ressent peut-être pas comme de la jalousie, mais elle est.
Je n'ai pas dit que cette agressivité était un mal. Beaucoup de gens disent :
Ben veut changer le monde parce qu'il n'est pas bien fait –pas du tout. Je trouve même que ce serait peut-être une catastrophe si on changeait lego parce que nous serions peut-être dans un monde bloqué (un homme non-agressif ne fait plus du nouveau), mais la transformation est inévitable par le seul fait que l'homme est une bête à transformation et à mouvement. Que ce soit l'art qui le propose aujourd'hui est assez intéressant. La politique aussi le propose sous d'autres formes : la Chine nouvelle, un homme nouveau...

En vérité, tu veux deux choses contradictoires : en faisant du nouveau pour être le plus fort, tu perpétues la chambre close tout en voulant la faire éclater...

Exactement. C'est l'individu qui s'aperçoit que pour être une vedette, il ne faut pas qu'il soit une vedette. C'est contradictoire.
Je veux être le plus grand à ne pas être grand.

Tu veux donc simultanément affirmer ton ego et l'abolir ?

Non : je veux abolir mon ego pour affirmer mon ego.

Et comment ?

Admettons que dans deux secondes, j'aille complètement abolir mon ego. Pendant les deux secondes qui précèdent l'abolition complète de mon ego, je veux avoir l'immense satisfaction ego d'avoir réussi à abolir mon ego. Pendant ces deux secondes-là, mon ego va atteindre son but. Et je ne peux pas avoir d'autre but étant donné que tout a été
bouffé dans la chambre. La chambre, c'est la chambre des possibilités. Il y a eu épuisement des possibilités. Epuisement de toutes les possibilités dans cette chambre. Il ne me reste qu'une possibilité. Je suis obligé d'y aller. Cette possibilité, c'est d'abolir mon ego. C'est ma dernière possibilité ego.
Je n'y arrive pas à abolir cet ego – mais j'essaie. Alors, pour le moment, c'est un peu le chant hypocrite du type qui crie : " Moi, Ben, je suis le plus grand artiste anonyme ! " C'est la culbute.

Et qu'est-ce que tu fais concrètement pour y parvenir ?

Pas grand chose. Si, je fais des choses. D'abord j'en parle.
Les exercices envers lego, c'est du bidon, ça ne marche pas. Le seul exercice, c'est que j'y pense. Et je dis la vérité. Voilà. J'essaie de dire la vérité (je ne la dis pas parce qu'il n'y a pas de vérité, mais ça c'est un autre problème), j'essaie de dire toutes les raisons pour lesquelles je peins, tous les gens dont je suis jaloux et je trouve qu'ayant dit ces vérités, je change ma propre situation par rapport à l'art.
Mais ce n'est pas un petit problème que d'abolir lego. Ça peut se résoudre par le suicide, mais ce n'est pas une solution puisque la mort
ça ne m'intéresse pas

Pourquoi ça ne t'intéresse pas ?

Si, ça m'intéresse, mais c'est une solution que je rejette pour le moment.

Il est souvent question chez toi d'assassiner les autres artistes, de te suicider

Oui – je trouve que la mort est une œuvre d'art absolue, claire, qui met un point final à beaucoup de choses (Rires). Au moins, c'est une pièce qui dure pour toujours, pour toi ! J'avais même fait une petite carte la seule pièce qui ne vous rendra pas triste par la suite dont vous ne serez jamais déçu, c'est votre suicide ! Celui qui l'exécute est tranquille. Seulement, il n'a pas, bien sûr, la certitude de la gloire... Il manque une satisfaction par la suite.

Je t'ai interrompu...

Oui – je ne crois pas au Zen – peut-être que j'ai tort ... En tout cas, il y a Annie qui dit : tu portes des lunettes en verre fumé et tu penses que tout le monde voit les autres comme toi

Et tu n'envisages pas la possibilité de t'assumer dans ton ego et dans ta chambre close ?

On ne peut pas s'assumer. On ne peut pas dire : je suis un égoïste, je le reste, merci, au revoir – ça, c'est abandonner la situation, c'est perdre la partie. Puisque mon système, c'est qu'il faut changer. Mon ego, c'est ma situation à changer. C'est mon terrain d'attaque. Je ne peux pas l'abandonner.

Et si c'était ça le changement ? Que tu t'assumes comme égoïste ? Ça pourrait être un pas en avant. Au lieu de lutter tout le temps contre toi-même...

Tout ce que je peux te dire, c'est que j'espère que ça m'arrivera. Demain matin, tiens. Je vais essayer de m'assumer comme égoïste. Je n'arrive pas ... je le suis déjà Je le suis déjà tellement, égoïste, je ne fais que ça, alors quoi ... La situation que je vois est celle-là.
Il faudrait que je vois une autre situation. Que quelqu'un me fasse voir que la situation est différente. Que la chambre close n'existe pas, que je ne suis pas une bête dévorante, que je n'ai pas fini de tout bouffer,
qu'il y a autre chose. Il faudrait que tu me montres ça.

Ce ne sera pas facile... Qu'est-ce que ces exercices sur l'ego dont tu viens de parler ?

Il y en a de toutes sortes, des gestes par exemple comme se cogner la tête contre le mur jusqu'à ce qu'elle saigne. Il devait y avoir aussi le désir – pas de masochisme, mais si tu veux, cette angoisse
Je ne m'aime pas tellement. Quand je me regarde dans un miroir pendant quatre heures pour changer – vraiment, je pense souvent "Ah que j'aimerais être quelqu'un d'autre Ah que j'aimerais pouvoir changer Si, dans quatre heures, en me levant, j'étais différent Au lieu de cela, je vais me lever et je vais être le MEME…"

Et quand tu te vois différent, tu te vois comment ?

Je ne sais pas. Mais je rêve d'être différent. Je ne voudrais pas être un autre homme. Parce que je les vois tous comme moi. Je voudrais être AUTRE chose. Quelque chose comme une pierre, quelque chose
de différent. Presque pas humain. A la rigueur une conscience, mais statique ou – ou en mouvement fou, total, sans fatigue ou quelque chose comme ça ... mais pas humain. Ou alors comprendre ... être la compréhension pure. Ou quelque chose comme cela, pur. Mais ne pas vivre avec cette ambition, cette angoisse, cette insatisfaction.

Etre une conscience pure, sans volonté, sans conflits ?

Sans conflits, oui. Sans conflits, exactement.

(interview Irmeline LEBEER, Art Vivant n. 42)

Retour...

1973

INTERVIEW AVEC ANNIE

Q : Quel est ton apport ?

Je crois que c'est d'avoir compris que pour avoir un apport conséquent aujourd'hui il faut changer le peintre c'est-à-dire l'homme
et non plus la forme.

Q : Crois-tu y être arrivé ?

Non, je crois que comme beaucoup d'autres tentatives non-Art ou anti art qui m'intéressent mes propositions aboutissent à un échec. Par contre ce qui est positif c'est d'avoir posé le problème là où il était ignoré avant.

Q : C'est faux, l'artiste a toujours eu ces problèmes d'Ego

Ce n'est pas la même chose, j'entends moi que l'artiste va travailler sur 'ego comme on travaille sur n'importe quelle matière, c'est à dire sur lui-même, Il devient à la fois sujet et matière. Il va creuser ses motivations. Il va ouvrir l'art au niveau du geste créateur comme on démonte une pendule.

Q : Mais la pendule reste pendule.

Pas tout à fait, car la connaissance transforme. En se démontant et en apprenant à se connaître l'artiste change qu'il le veuille ou non.

Q : Fondamentalement ?

Ah c'est là toute la question. Est-ce que les données contenues dans le geste créateur (au niveau du Moi et de l'ego) sont des données immuables à l'espèce humaine ou sont-elles transformables. J'ai tendance à croire qu'elles peuvent changer. Si ce n'est par leur connaissance ce sera par un agent extérieur que la connaissance même aura permis d'apporter. Je m'explique si la psychanalyse ne marche pas la médecine pourra marcher (médicaments).

Q : Mais pourquoi vouloir changer l'homme, l'art ne peut-il pas continuer sans nécessairement changer l'homme en autre chose que ce qu'il est ?

Ce n'est pas moi qui veut changer l'homme c'est l'homme qui est une machine qui n'existe que dans le changement et le nouveau. Et, qu'il le veuille ou non en dehors de tout problème moral et politique de bien ou de mal, il ne peut s'empêcher de chercher sa transformation.

Q : Quelle est la place du plaisir dans ta pratique et dans ta théorie ?

Il y a d'après moi à distinguer entre deux plaisirs. Le plaisir du "moi" et le plaisir du "ça". Mais ils vont se rejoindre. Lorsque je fais un tableau et que je m'analyse, je discerne un plaisir à l'idée d'avoir réalisé une pièce qui, en étant une chose nouvelle va améliorer mon statut par rapport à celui des autres et m'apporter une satisfaction d'être supérieur à eux. (Mon moi n'est que par rapport à celui des autres), fort s'ils sont faibles, grand s'ils sont petits. Ce premier plaisir qui appartient au Moi existe dans la conscience de tout acte créatif en compétition dans une histoire de l'art. Le second plaisir concerne le "Ça" c'est-à-dire pour focaliser mieux, je donnerai l'exemple du paysan avec le petit bout de bois et le canif. C'est le plaisir d'assister à une chose qui avance, du toucher. C'est surtout le plaisir de l'ouvrage bien fait, C'est l'artiste du dimanche.
Moi, qui recherche un artiste nouveau, anti subjectif; etc., j'ai été tout de suite séduit par la possibilité d'un art "ça" remplaçant un art du "moi". Hélas le terrain était miné. Premièrement parce que le "ça" recherché par le "moi" n'est plus un "ça" mais un "ça" récupéré. Et deuxièmement l'analyse que j'ai faite du "ça" même non récupéré au niveau d'une pratique picturale quelle qu'elle soit, les dessins d'un entant, le peintre du dimanche la possibilité de toutes les formes dans le contexte de l'histoire de la peinture va les désamorcer, les périmer, les rendre inutilisables pour l'avenir. Se rendre compte de cette situation est ce que j'appelle être post-Duchamp.
L'artiste post-Duchamp sera alors naturellement porté à s'intéresser non plus au contenu formel de l'art mais à la nature même de l'art. C'est-à-dire s'apercevant qu'il ne peut pas changer grand chose dans la chambre il lui faudra essayer de changer la chambre ou quitter la chambre.

Q : Mais ton raisonnement n'est-il pas trop simple, trop linéaire, de croire qu'une nouveauté chasse l'autre et ainsi de suite ?

Non pas du tout. Il n'y a pas dix champs spécifiques dans la peinture, il n'y en a qu'un. Je m'explique. Quand une peinture veut s'insérer dans l'histoire de la peinture elle ne peut avoir d'autre champ que celui créé et contenu dans l'intention de l'artiste de placer son produit par rapport à une échelle des créations dans laquelle il est en compétition avec tous les éléments qui le précèdent et qu'on appelle l'histoire de la peinture. On peut bien sûr imaginer d'innombrables champs différents si on cloisonne les attributs de la peinture. Quelqu'un peut inventer un chassis nouveau, ou dans le cadre de la couleur, une nouvelle couleur, cela sera plus ou moins nouveau dans le champ restreint des fabricants de chassis ou de couleur. Mais lorsque cette même création par intention de l'artiste, veut se faire juger par rapport à toute l'histoire de la peinture, elle se situe dans un autre contexte dans lequel on jugera son apport par rapport à tous les autres apports de l'histoire de la peinture. C'est en fait la super-structure qui devient linéaire.

Q : Quelle est ta position politique ?

En politique comme en art je procède à partir d'un axiome.
En art c'est le nouveau, en politique, c'est que la vie est préférable à la mort. De cet axiome découle ma première ligne de conduite :
il faut déceler et combattre toutes les oppressions. Ce qui m'amène à prendre des positions pour les ethnies, la lutte des femmes, la lutte des classes, mais aussi l'initiative privée, la liberté du création etc.

Q : Mais en fait tu n'as ni changé ton ego, ni celui des autres, alors ?

C'est vrai je ne change ni lego ni l'homme mais en posant le problème et le plaçant dans le contexte de l'art à sa place et au moment voulu je signifie la situation (le cul de sac), et cela est positif.

(Heute Kunst n. 4-5, Decembre 1973)

Retour...

1974

BEN CONTRE LA PEINTURE

Réponse à la question : Que penses-tu du discours sur la peinture de Marcelin Pleynet (1974)

La faille n'est pas dans le discours à proprement parler elle est dans les sources du discours, c'est-à-dire les a-priori à partir desquels ce discours est construit. A priori de trois ordres : biologique, politique et artistique. Biologique : l'homme de Pleynet (celui qui est déterminé par l'histoire et fait l'histoire) n'est pas une entité agressive. Son produit ne sera donc pas les conséquences d'une agressivité. Politique : il y a une idéologie dominante idéaliste et régressive par rapport à une idéologie non dominante non régressive.
Artistique : quand Pleynet parle de la peinture, cette peinture s'insère dans un champ spécifique formel (couleur, pinceau, geste, etc.).
Pour moi en fait l'histoire de l'art est un échafaudage qui tient debout soutenu par des critères qui eux sont fondés sur des axiomes qui eux-mêmes découlent de la réalité. Lorsqu'à un moment donné les éléments de l'échafaudage se trouvent en contradiction avec ses propres axiomes ou ceux-ci avec la réalité, l'histoire de l'art se casse la gueule.
C'est la réalité qui a démenti, "l'art canonique", "l'art religieux l'art pour l'art", et bientôt l'art matérialiste.
Première erreur : A partir de l'a-priori politique, d'un choix progressiste par rapport à un choix régressif, pénétrant dans le champ spécifique de l'art qui est le nouveau il va y avoir cernage, restriction de la peinture.
Pleynet va donc être amené à rejeter au nom d'une histoire de l'homme un certain nouveau (qu'il appelle la course à l'originalité ou le nouveau pour le nouveau). Deuxième erreur : à propos de ce concept de la nouveauté Pleynet l'attaque sans jamais en préciser les contours, sans jamais répondre à la question de la finalité de cette nouveauté et de sa raison d'être car même quand il va attaquer la nouveauté pour elle-même c'est-à-dire le nouveau pour le nouveau il ne pourra pas tenir longtemps et finira, après avoir accroché la peinture au train des déterminations politiques et psychanalytiques, par les accepter seulement s'il peut en fin de compte leur accorder la médaille de la nouveauté. Quatrième erreur : le champ spécifique.
Lorsqu'on étudie la peinture à partir de ces déterminations (Marx et Freud), on l'étudie comme un objet et c'est de cette manière que l'on en vient à imaginer un champ spécifique de la peinture. Au niveau de la matière, qui en fait n'existe pas.
Pleynet prend la peinture la pose sur une table de dissection et veut l'étudier.
En faisant cela il la bloque et lui donne un champ spécifique que la peinture n'a pas. Car elle n'existe que dans le nouveau qu'elle contient. Nouveau qui est : la différence contenue entre elle et ce qui précède (c'est-à-dire un manque, pas un ajout).
Mais cela Pleynet ne pourra s'en apercevoir à moins qu'il ne prenne le problème à l'envers. C'est-à-dire ne pas mettre la toile sur la table de dissection mais l'artiste et son ego. Troisième erreur : elle concerne le choix de certaines déterminations politiques et psychanalytiques ainsi que le coefficient d'importance que leur donne Pleynet non seulement dans l'explication d'une œuvre d'art passée mais surtout lorsqu'il s'agit de faire une règle pour la fabrication d'une œuvre d'art dans l'avenir.

a) Le choix des déterminations. Lors de sa discussion Pleynet a passé beaucoup de temps à nous dire qu'à une certaine époque on peignait des madones et des églises parce que le pouvoir était aux mains des églises.
Plus tard on a peint tout ce que le bourgeois pouvait posséder, sa maison, sa femme, ses enfants, ses chiens, parce que le pouvoir était aux mains des bourgeois (peinture hollandaise). Je réponds à cela que personne ne nie l'existence de ces déterminations mais qu'elles ne contiennent ni le propo