GUATEMALA

République de Guatemala
Capitale : Ciudad de Guatemala
Superficie : 108 890 Km2
Population : 9 200 000 hab.

Peuplement (1993)

La société guatémaltèque est comme bien d'autres en Amérique latine, pluri-ethnique ; elle est en même temps, une société de castes raciales hiérarchisées en conflit ouvert et dont la fin semble devoir se rapprocher.

Mayas
Le Guatemala tout entier est inscrit géographiquement dans l'aire de la brillante civilisation maya dont il couvre le tiers de la superficie. Le fond antique de sa population est essentiellement maya, bien que l'histoire lui ait surajouté des éléments allogènes, plus considérables par leur impact sur la société indigène qu'importants par leur nombre.
Les populations mayas dont la civilisation est homogène, ont cependant conservé une étonnante diversité de langues et de coutumes.
En effet, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ces populations pacifiques et peu expansives, ne connurent ni État unifié, ni unification linguistique. Leur destin brillant fut lié à l'apparition de citésÉtats au rayonnement intense qui vécurent liguées ou désunies selon les périodes, mais que leurs populations avaient désertées pour la plupart dès avant l'arrivée des Espagnols.
Etablies sur un territoire massif, d'un océan à l'autre, de la péninsule du Yucatan à l'Altiplano guatémaltèque et des plateaux du Chiapas à la côte caraïbe, les populations mayas vécurent stablement en ces lieux sur un arc de plusieurs millénaires. Il fallut l'arrivée des Espagnols pour voir des Mayas emmenés comme esclaves loin de leur pays, vers Panama et le Pérou, loin de la terre de leurs ancêtres. Aujourd'hui, alors qu'une terible oppression les a chassés de chez eux, plusieurs milliers de Mayas guatémaltèques vivent temporairement aux USA, en Floride notamment. Cette stabilité exceptionnelle ne doit pas faire oublier cependant la mobilité périodique de certains groupes à l'intérieur de l'aire maya, spécialement à la charnière des différentes phases de leur civilisation ou lors d'invasions étrangères.
En l'absence de tout recensement ethno-linguistique rigoureux en Amérique centrale et en tenant compte du fait qu'une fraction considérable des Mayas est aujourd'hui acculturée à l'hispanité et se définit comme "métisse" ou "ladina", on peut cependant admettre que l'ensemble maya regroupe 10 millions d'individus distribués sur cinq États, plus de la moitié d'entre eux vivant probablement au Guatemala.

Linguistiquement
L'ensemble maya est nettement individualisé mais par delà l'unité générale, les écarts entre parlers peuvent être considérables ; néanmoins, nombre d'entre eux semblent représenter des ponts d'un groupe à l'autre. Les langages septentrionaux, mayas proprement dits, sont parlés au Yucatan mexicain, au Bélize et dans le Petén guatémaltèque ; le yucatèque en est le principal représentant. Les parlers occidentaux avec le tzeltal et le tzotzil couvrent le Chiapas mexicain, et du fait de migrations anciennes, occupent avec le chorti, les territoire mayas du Honduras (région de San Pedro Sula et Santa Rosa de Copàn) et du Salvador (département de Chalatenango). Débordant un peu sur le Mexique, les parlers orientaux sont nettement guatémaltèques, les plus pratiqués étant le kiché et le cakchiquel, très proches et le mam.
Dans cet ensemble très éclaté, les locuteurs du kiché, du cakchikel et des variétés affines, représentent 60% des usagers des langues indiennes au Guatemala et environ 40% de tous ceux qui parlent une langue maya. L'hispanisation va certes croissant, mais la poussée démographique autochtone est telle, que le régime guatémaltèque envisage l'alphabétisation en langue amérindienne et en espagnol. Ce ne serait qu'un juste retour des choses pour ces idiomes au passé prestigieux, en attendant leur reconnaissance comme langues nationales.

Socialement
La plupart de nos Mayas guatémaltèques sont des paysans attachés à leur lopin de terre, souvent misérables et obligés de se louer saisonnièrement chez les grands propriétaires de la côte du Pacifique (coton, café, canne à sucre) ou dans les bananeraies de la United Brands Co. Les hispanisés sont majoritairement citadins, fonctionnaires, commerçants et bien des jeunes se sont enrôlé, de leur plein gré ou de force, dans l'armée. Combattant leurs propres frères, ils sont assurés d'un statut économique et social plus avantageux.
Ceux qui ont conservé leurs traditions villageoises communautaires, leurs coutumes, notamment vestimentaires, leur religion de type syncrétique catholico-maya à laquelle s'agglutinent maintenant des éléments protestants, qui vénèrent les ancêtres, en un mot qui s'accrochent à leur vision du monde, représentent entre 55 et 60% de la population guatémaltéque si on leur rattache quelques groupes amérindiens d'autres appartenances ethniques mais, comme eux, fidèles à leurs origines.
Parmi les ladinos, ceux d'origine maya, hispanisés et donc maintenant du côté des maîtres du pays, et, à ce titre, rejetés par leurs frères, peuvent représenter 10% des Guatémaltèques.

Pipil et Sinka
Les Mayas ne constituent pas à eux seuls le fond amérindien du Guatemala. On trouve dans le centre-est et le sud-est du pays, des populations pour l'essentiel hispanisées, plus ou moins métissées d'Européens dont les ancêtres se mêlèrent aux Mayas à des époques anciennes.
Le groupe le plus important est représenté par les Nahua d'origine mexicaine, toltèque ou aztèque, qui colonisèrent la région vers le XIIIème siècle, s'établissant également au Salvador. On les appelle Pipil mais très peu semblent avoir conservé l'usage du nahua.
En effet, dès l'arrivée des Espagnols, ils adoptèrent rapidement la langue du conquérant, soucieux de conserver une certaine prééminence sociale dans un contexte nouveau. Renforcées par les Tlaxcaltèques installés par le conquistador Alvarado, ces population nahua donnèrent naissance à l'essentiel des Métis ou Ladinos. De leur tempérament belliqueux et cruel associé au racisme des colons espagnols procède probablement le comportement impitoyable de ce groupe ethno-social à l'égard des autochtones mayas.
A ces Pipil et à leurs descendants, il convient sans doute d'assimiler l'ethnie Sinka qui, concentrée dans l'angle sud-est du Guatémala, soit au coeur de l'aire de peuplement pipil, est pratiquement toute hispanisée, seules 5000 personnes parlant encore la langue d'origine. Pipil et Sinka ladinisés peuvent bien représenter les 2/3 des Ladinos, soit 25% de la population totale.

Espagnols et Ladinos
Forte d'à peine 400 000 membres, soit 4%du total, la population de souche européenne, presque exclusivement espagnole plus quelques éléments allemands, tient depuis la conquête le haut du pavé. Propriétaires terriens, planteurs ou éleveurs, entrepreneurs, descendants de conquistadores, de nobles ou d'artisans venus coloniser les Indes, ces créoles ont depuis le début du siècle associé leurs intérêts à ceux des compagnies agro-alimentaires nord-américaines avec lesquelles ils partagent le gâteau guatémaltèque. S'étant adjoint le concours d'une partie des Métis, elle entend bien voir sa domination pluri-séculaire perdurer.Cependant, son aveuglement égoïste pourrait la conduire sur le chemin d'une émigration définitive qu'elle n'envisage pas à ce jour.
Ces créoles forment avec les Métis, biologiques ou simplement culturels, la population dite "ladina" (latine) qui peut se définir par la formule "n'a jamais vécu ou ne vit plus dans la culture indigène".
On conçoit aisément qu'il s'agit là d'une communauté aux marges floues dont le nombre s'accroit au fur et à mesure de l'acculturation des autochtones, mais qui pourrait diminuer si la pression démographique, sociologique et culturelle des "Indios" devenait forte, les assimilés revenant à leurs racines, pour ce qui est des Mayas tout au moins, les descendants des Pilpil étant dans une situation moins évidente à cet égard.
Proches du pouvoir, le partageant même avec les Créoles, les Métis, essentiellement citadins, constituent le plus gros des couches sociales moyennes (fonction publique, commerce, professions libérales, armée et police). Occupant une position sociale intermédiaire et possédant une identité culturelle fragile, psychologiquement frustrés et instables, ils sont les plus fervents zélateurs d'une "nation guatémaltèque" incertaine et celà, quelles que soient leurs convictions politiques. Face au Amérindiens qu'ils traitent péjorativement d'"Indios" ou avec condescendance, d'"Inditos" (petits Indiens), ils ne peuvent opposer qu'une identié négative, source de leur mal-être et partant, de leur haine envers eux-mêmes et surtout envers autrui, qu'il soit maya ou "yanqui".
Cependant du fait de la pression générale du monde maya, le regard du Métis, surtout s'il est démocrate, tend à évoluer, d'autant que se forme une élite intellectuelle et sociale maya qui, rompant avec l'isolationnisme communautaire, investit tous les lieux de pouvoir et cela, malgré toutes les formes d'ostracisme à son endroit.

Noirs et Garifuna
La région caraïbe de Puerto Barrios est très marginale par son peuplement qui se caractérise par la présence d'éléments d'ascendance africaine venus des États voisins pour travailler notamment dans les bananeraies. Dans leur voisinage, vivent les Garifuna aux curieuses origines. L'ensemble de ces populations n'excède pas 1% de la population totale du pays.
Les Garifuna, autrement dits Karib noir, pêcheurs et bateliers, sont issus d'un métissage entre des esclaves africains naufragés en 1635 qui s'unirent aux autochtones amérindiens de l'île antillaise de St-Vincent. Or ceux-ci résultaient eux-mêmes d'un mélange entre les Arawak qui peuplaient primitivement les Antilles et leurs envahisseurs Karib qui les supplantèrent peu avant l'arrivée des Européens. En 1795, les colons anglais déportèrent les Garifuna, qu'ils n'arrivaient pas à juguler, de leur île de St-Vincent aux îles inhabitées de la Bahia face à la côte nord du Honduras. De là, ces insoumis gagnèrent vers 1825 le continent où ils ont fait souche ; ils sont 11.000 au Belize, 15.000 au Guatemala, 25.000 au Honduras. Marginaux dans ces trois pays, cette communauté de 51.000 individus vit assez repliée sur elle-même, pratiquant sa langue originelle, dite igneri, ainsi que l'anglais créole du Belize et de la Jamaïque tout comme ses voisins noirs.

Historique

Sur les bases d'une riche civilisation néolithique qui culmina avec l'invention de l'écriture hiéroglyphe qui leur est propre et celle d'un calendrier extrêmement précis, les Mayas bâtirent dans la zone centrale de leur territoire leur "ancien Empire". Il s'agissait en fait d'un ensemble de cités-États gouvernées par des dynastes et qui fleurirent du IVe au IXe siècle. Une civilisation tout à fait comparable à celle de la Grèce antique et dont les plus beaux fleurons étaient Palenque, Tikal, Maminaljuyu et Copàn. La fin de cette période d'épanouissement de la culture maya reste passablement mystérieuse.
Toutefois des migrations vers le nord du Yucatan lui assurèrent une continuité toute aussi glorieuse ; ce fut le "Nouvel Empire" fondé au XIe siècle, mais qui entra en décadence au début du XIIIe siècle. Alors que vers cette époque, les envahisseurs toltèques soumettaient une grande partie du pays, des royaumes mayas resplendissaient encore sur l'Altiplano guatémaltèque (Utatlan, Iximché) et ce, jusqu'à l'arrivée des Espagnols.
En 1519, Cortès débarque au Yucatan et fait route vers le Mexique. De là en 1523, il envoie son lieutenant Pedro de Alvarado conquérir le Guatémala. Celui-ci défait Tecun Uman, roi des Kiché ; il détruit sa capitale et asservit les Cakchikel opposés à leurs voisins et qui avaient appelé Cortès à leur aide. Répartissant terres et captifs indiens entre ses soldats selon le régime de l'encomienda qui leur accorde d'exploiter selon leur bon vouloir les unes et les autres, charge à eux d'évangéliser leurs esclaves, il fonde ainsi un type de société féodale qui durera jusqu'à aujourd'hui et qui a profondément imprégné le pays et les mentalités.
Le bon Frère dominicain Bartolomé de Las Casas tentera bien vers 1537 de démontrer qu'il est possible de gagner des âmes au Dieu des chrétiens, loin de l'encomienda et de l'esclavage. Mais l'expérience de la Vera Paz ne suscitera pas d'émules. Soumis à ses conquistadores et à ses inquisiteurs, le pays connaîtra un certain développement et verra s'affirmer au cours du temps "l'ethno classe" des Métis. Une certaine prospérité des Indes hispaniques va entrainer au début du XIXème siècle le désir d'autonomie des élites créoles. En 1821, l'indépendance est proclamée puis, dans la foulée, l'union avec l'Empire du Mexique à laquelle succède tout aussi vite, la fédération centre-américaine. L'essentiel du XIXème siècle sera fait de guerres civiles et de guerres extérieures avec les anciens partidos de la Capitainie générale du Guatémala (Honduras, Salvador, Nicaragua et Costa Rica). Aux libéraux fédéralistes s'opposeront les conservateurs-isolationnistes ; Créoles, Métis et Indiens se disputeront âprement le pouvoir ; pronunciamentos et dictatures se succèderont.
Si on fait abstraction de la désagrégation de l'entité administrative coloniales dépendant du Guatémala qui était logique, le pays par excellence des Mayas se verra amputé de deux portions considérables de son territoire : le Mexique annexera en 1824 le Chiapas et l'Angleterre, le Belize qu'elle contrôle depuis le XVIIIe siècle, en 1862. Périodiquement, le Guatemala manifestera ses sentiments rattachistes à l'égard du second.
L'émancipation de la tutelle espagnole n'apportera pas de progrès substantiels pour les masses indigènes malgré plusieurs révoltes populaires, entre autres celle d'Anastasio Tzul en 1820 qui se proclama roi des Kiché. Mais dans la tourmente post-indépendantiste, il est certain que des Indiens plus ou moins assimilés purent s'imposer, tel le dictateur Carrera qui gouverna le pays pendant vingt cinq ans. Globalement, la situation des Mayas empira plutôt.
L'entrée en scène des compagnies fruitières nord-américaines comme la United Fruits Co (1901) allait ajouter un peu plus d'oppression ainsi que la mise sous tutelle du pays par les USA. Le Guatemala devenait l'archétype de la "république bananière". Le paroxysme était atteint sous le dictateur Ubico de 1931 à 1944. Une révolution démocratique le renversa à cette époque qui mit Arevalo à la tête du pays, lequel entreprit la démocratisation de la vie sociale, la réforme agraire, les nationalisations qu'en 1951, Arbenz allait approfondir. Mais les coups portés aux monopoles étrangers, à la United Fruits entre autres, suscitèrent le courroux des Américains. Un coup d'État militaire qu'ils patronnaient mit fin en 1954 à l'expérience démocratique guatémaltèque.
Trente ans d'une sanglante répression des aspirations populaires allaient suivre.
Dans les années 60, une guérilla d'inspiration castriste s'opposa un temps au régime militaire. Fomentée par les Métis de gauche, elle ne reçut aucun soutien des Indiens et fut éliminée. En 1975 la guérilla reprenait sur le même filon mais dans un tel contexte de terreur militaire et d'élimination de toute opposition démocratique ou syndicale que, cette fois, elle allait rencontrer le peuple indigène. La participation croissante des Mayas à la révolte armée allait entrainer un cortège sans fin d'exactions militaires. De 1978 à 1983, la guerre civile allait causer la mort de 1 00 000 personnes, des Indiens pour la plupart, en outre, 200 000 d'entre eux n'eurent la vie sauve qu'en se réfugiant qui, au Mexique ou au Belize, qui, aux États-Unis.
Le nouveau cours de la politique américaine dans la région allait finalement infléchir l'attitude impitoyable des militaires guatémaltèques. Washigton leur supprima toute aide tant qu'ils ne se seraient pas engagés sur la voie du rétablissement de la démocratie. En 1984, le Général Mejia fait élire une assemblée constituante. L'année suivante, Cerezo, (le démocrate chrétien) est élu président avec 68 % des suffrages. La nouvelle Constitution affirme les droits sociaux et culturels des Mayas et autres Amérindiens. Des contacts sont pris avec les guérilleros de l'Union nationale de la Révolution guatémaltèque (UNRG) en vue d'une réconciliation générale sous les auspices des USA et du Mexique.
Mais l'armée exerce une pesante tutelle sur le retour à la démocratie et dicte au gouvernement jusqu'où il ne peut aller sous peine de déplaire aux militaires et à l'oligarchie. La violence politique fait des ravages dans les rangs des démocrates assassinés par les tueurs de l'extrême-droite. Aussi c'est dans la désillution totale qu'auront lieu de nouvelles élections en 1991, la moitié des électeurs n'allant pas voter. Un candidat de centre-droit, lié aux maitres du pays, Serrano, deviendra le premier président protestant d'Amérique latine ; il est en effet membre d'une église évangélique fondamentaliste. Sa politique suivra le même cours autoritaire favorable aux tenants de l'ordre établi. Les contacts avec la guérilla se poursuivent toutefois et le gouvernement a accepté le retour d'une partie des réfugiés au Mexique auxquels il a attribué des terres. Mais rien n'a été entrepris pour régler les problèmes d'un million de chômeurs ni ceux de plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées dans le cadre de la lutte anti-guérilla. A plus forte raison, aucune enquête n'a été ouverte pour éclaircir le sort des 40 000 disparus.
Cependant malgré ce climat toujours aussi sombre, les populations terrorisées reprennent confiance et s'organisent : organisations syndicales paysannes (le Comité para la Unidad campesina - CUC a été rejoint par d'autres), groupes pour la recherche des disparus, organisation des femmes indigènes - CONAVIGUA, composée essentiellement de ces veuves laissées par milliers du fait de la politique de la terre brûlée de l'armée ; Conseil des personnes déplacées. Des regroupements ont eu lieu.
En outre, les indigènes font de plus en plus entendre une voix spécifique ; ainsi ont-ils créé le Conseil des communautés ethniques - Junuel Junan, attaché à la défense des droits de l'homme et au respect de la culture indienne. Fin 91, près de 20000 Amérindiens défilaient dans les rues de Quetzaltenango, à l'occasion de la Rencontre continentale des Indiens d'Amérique. Un an après, le jury du Prix Nobel allait rendre un hommage éclatant à la lutte des Mayas guatémaltèques en décernant à Rigoberta Menchù le prix Nobel de la paix. Cette distinction faite à une Guatémaltèque ne fut guère appréciée par les milieux dirigeants d'autant qu'elle accroissait l'intérêt de l'opinion publique mondiale pour les événements de ce pays aux populations martyres.

Perspectives

Après tant d'années de dictatures sanglantes, les pays d'Amérique centrale, encouragés en cela par les États-Unis, semblent vouloir se donner des régimes de démocratie, au moins formelle. C'est un progrès qui ne remet cependant pas en cause les structures du pouvoir oligarchique et féodal à la source de tant d'injustices. Par ailleurs, le problème capital des identités culturelles et nationales se pose avec une acuité grandissante et la revalorisation de la place des communautés indigènes dans les sociétés centre-américaines va acquérir un poids indiscutable en cette fin de siècle.
De tous les pays de la région, c'est évidemment le Guatemala qui va, de ces points de vue là, subir les tensions les plus vives. Non seulement la cruauté et l'iniquité du système oligarchique ne peut se perpétuer indéfiniment devant la poussée démographique indigène, les 80 familles les plus puissantes possèdent les 3/4 du pays et les meilleures terres, naturellement, mais de plus, la vitalité maya fera subir une pression certaine sur l'identité chancelante des Ladinos, groupe composite et instable. La remise en question qui attend la frange démocratique des Ladinos est de nature à déstabiliser durablement le pouvoir militaro-oligarchique qui ne peut plus compter comme avant sur ses appuis extérieurs pour assurer la pérennité de son régime raciste et féodal.
Malgré la terreur exercée sur eux, les Mayas guatémaltèques ont investi progressivement tous les lieux de pouvoir et tous les espaces de liberté qui leurs étaient laissés ; au sein des partis politiques, des syndicats, dans la guérilla comme dans l'armée, ils sont présents ; à l'Université, parmi les catéchistes catholiques ou protestants, leur rôle s'affirme ; coopérateurs-nés, ils apprennent les techniques de la commercialisation de leurs productions, s'affirmant aussi bons managers que les Ladinos ou les Yanquis ; le drame que fut le tremblement de terre de 1976 les a amenés à se passer de l'aide de l'État-gangster et à organiser eux-mêmes la reconstruction. Bien des avancées ne se font pas sans bousculer les traditions et le rôle des anciens a été parfois contesté, mais le fait est là, une élite intellectuelle et sociale maya existe, prête à assurer le renouveau de son peuple : Rigoberta Menchù en est le symbole éclatant.
Le pragmatisme de ce peuple est tel, ses convictions et sa patience sont si inébranlables que l'on peut imaginer le voir laisser à d'autres (les Métis) les rênes du pouvoir d'État, alors que lui aura entre les mains, la société civile et conditionnera ainsi tous les choix fondamentaux. La résistance au progrès de couches ladinas supérieures peut être forte, elle ne semble pas être en mesure de durer. Un rapide asouplissement de ses positions lui consentirait de prolonger sa domination, mais son égoïsme semble tel, qu'à terme c'est la fuite qui s'offrira comme seule alternative ou bien le bain de sang. Les haines réciproques sont tellement fortes, qu'on se demande si la raison pourra l'emporter. Ce qui est certain, c'est que le rêve millénariste de Tecun Uman revenant régner sur les Mayas semble prendre tournure. Au regard des siècles de martyre enduré par ce peuple, ce ne serait que justice.
L'hypothèse évoquée ci-dessus se heurte à une évidence : les Mayas guatémaltèques ont, au nom de tous leurs frères indiens, le devoir impérieux de rétablir le premier État amérindien depuis 1600. C'est un challenge d'une immense portée.
De façon plus contingente, le Guatemala maya ne pourra pas se désintéresser du sort de ses frères d'ethnie dans les États voisins. Or l'attrait qu'il pourra exercer sur eux dépendra pour une bonne part du contexte international tant politique, qu'économique. La pacification des pays voisins et la perspective d'une intégration économique centre-américaine si elles devenaient effectives, lui donneraient une force certaine.
Mais c'est sans doute sur la répartition équitable du pouvoir entre les communautés mayas et ladinas, sur l'équilibre entre régions, que les Mayas irrédents jugeront le Guatemala dont la vocation nationale est flagrante. Le leadership historique et démographique des Kiché, s'il est justifié, ne doit pas se transformer en volonté hégémonique, ce serait courir à l'échec. Le poids des autres communautés (Cakchikel, Mam, Kekchi...) ainsi que les tendances traditionnelles à l'autonomie régionale devraient contrebalancer avec bonheur le poids des Kiché.
Une attitude conciliatrice à l'égard des Ladinos évitera sans doute bien des déboires, même si pour celà il faut casser le mur de haine qui oppose les deux groupes. La garantie d'un statut particulier pour les Métis du Sud-est d'origine pipilsinka et la création d'une région autonome unissant les départements d'Escuintla, Cuilapa et Jutiapa, auraient des conséquences bénéfiques sur la position de ce groupement.
De même que l'union trans-Étatique des Mayas est souhaitable, il y a lieu de considérer comme positive l'éventuelle confluence de cette région autonome avec le Salvador, qui est, pour les 2/3, de même peuplement pipil avec un égal degré d'hispanisation. Pour être complet, on pourrait envisager le regroupement des foyers ladinos du rio Motagua et de Antigua dans cette région autonome. Cette politique, délicate à mettre en oeuvre, aurait l'avantage de reconnaître une réalité historique et ethnique, l'implantation ancienne d'une population non maya et de désamorcer en bonne part la question métisse.
Les retombées bénéfiques d'une telle attitude serviraient également à rallier les Mayas hispanisés du Salvador et du Honduras mais aussi du Mexique. Dans le cadre de l'union douanière nord-américaine qui rattachera ce dernier pays à l'Amérique anglo-saxonne, les Mayas du Chiapas et du Yucatan, déjà marginaux géographiquement et les derniers intégrés dans le Mexique moderne, risquent de se sentir de plus en plus délaissés, le développement des régions du centre et du nord passant avant le leur. Pour peu qu'un Guatemala ayant libéré l'énorme potentiel humain qui est le sien, se fortifie économiquement, ces régions mexicaines entreront dans son orbite recréant ainsi l'unité de l'aire de civilisation ancienne.
Les rapports avec le Bélize se présentent sous un autre jour. Si l'intégration économique peut se concevoir aisément, l'intégration humaine et culturelle paraît plus aléatoire du fait qu'une majorité de la population bélizéenne est d'ascendance africaine avec des apports européens et asiatiques, tous de tradition et de langue anglaise (créole jamaico-bélizéen). Néanmoins, il subsiste une forte minorité de souche maya au sud (Mopan, Kekchi) et métissée d'Espagnols au nord, le tout apportant une note hispanique dans cet ensemble britannique. L'osmose est loin d'être envisageable, cependant on peut noter avec intérêt que le Bélize a désiré dès l'indépendance ancrer le pays dans la continuité maya autochtone en transportant sa capitale à Belmopan, au coeur du pays. Nul doute que le sort qui sera réservé aux Noirs et Garifuna par le Guatemala indien infléchira ou non l'accueil distant que les Bélizéens accordent à tout idée d'union. L'importance prise par les Églises protestantes au Guatemala ainsi que le retour des réfugiés aux Etas-Unis qui ramèneront la pratique de l'anglais dans leurs bagages, sont de nature à créer des ponts suppémentaires en direction de ce petit État. La symbiose entre Amérindiens et Africains semble tout à fait envisageable à long terme, bien des exemples sont là pour le prouver, celui des Garifuna en particulier.
Le Guatemala maya ne pourra pas se passer de son héritage linguistique espagnol. Pour d'autres raisons, il aura intérêt à faire appel à l'anglais pour élargir ses perspectives internationales. Mais tout en préservant sa variété linguistique actuelle, il ne pourra pas faire l'économie d'une langue nationale autochtone : l'élaboration d'une koïné, la langue véhiculaire de demain, apparaît fondamentale afin que la décolonisation des Mayas soit complète. La logique voudrait qu'elle soit réalisée à partir du kiché et du cakchikel et des autres parlers achi. La jonction avec le passé doit se faire avec les moyens et les techniques d'aujourd'hui, une langue véhiculaire médiatique est un de ceux-là.

Conclusion

L'entrée des Mayas sur la scène internationale aura des conséquences d'une grande portée, pour les Amérindiens des deux continents et pour tous les peuples soumis. Libéré de ses chaînes, le peuple maya peut apporter énormément à la civilisation. En renouant avec les sources de sa culture et avec son histoire, il a les moyens de démontrer au monde que l'attachement à la tradition peut s'allier à la modernité et que la décolonisation d'un peuple, si opprimé ait-il été, n'a pas nécessairement comme issue la faillite économique et le chaos politique. Sa civilisation ancienne était fondée sur la maîtrise de connaissances et de techniques très performantes, sur la souplesse des structures politiques, sur une religiosité puissante aux étonnantes capacités syncrétiques et sur une attitude non expansive et non aggressive à l'égard de l'Autre, l'étranger. Nul doute que ces tendances sont toujours latentes et que vu l'attachement inébranlable des Mayas à leur identité ethno-culturelle, il peut en résulter l'apparition d'un nouveau rôle civilisateur en Méso-Amérique. Ainsi pourraient être transcendées les pages parmi les plus tristes et honteuses de l'aventure humaine, entachées du sang des martyrs amérindiens et souillées par la destruction d'un patrimoine culturel inestimable.

Jean-Louis Veyrac 1993

carte

tableau des populations, ethnies, langues, religions

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