AFRIQUE DU SUD

Situation actuelle (1994)

Depuis l'abolition de l'apartheid en 1992, une nouvelle Afrique du Sud est en gestation dans la douleur et l'incertitude.

Les élections d'avril vont selon toute vraisemblance donner le pouvoir au Congrès National Africain (A.N.C.) qui le partagera toutefois avec les représentants de la minorité d'origine européenne. Les mécanismes institutionnels devraient fonctionner même si d'importantes minorités, blanches et noires, s'opposent à l'évolution programmée. Les changements dans la représentation politique des diverses communautés seront plus cruciaux que l'évolution prévisible des rapports socio-économiques ; et c'est bien au niveau de cette représentation que résideront les difficultés : la nature des pouvoirs dévolus aux neuf provinces face à l'État central ainsi que le découpage de celles-ci, vont être les problèmes majeurs que devra affronter le nouveau pouvoir de la majorité noire. Dans ce contexte, on peut malheureusement craindre des drames sanglants.

Répartition ethnique ; analyse et proposition ethniste

  1. Les peuples de l' Afrique du Sud sont pour l'essentiel (21 millions) les composantes d'une même ethnie dont les grands regroupements tribaux se perçoivent comme des nations . Zoulous, Xhosa, Swazi et Ndebele appartiennent à un sous-groupe identique alors que Sotho, Tswana et Pedi en forment un autre, Venda et Tsonga formant un sous-groupe chacun.
    Toutes ces communautés sont attachées à leur identité tribale mais ce sont les Zoulous, les plus nombreux par ailleurs (7 millions), qui promeuvent le plus agressivement la leur. Ayant en mémoire les exploits de Chaka qui tînt tête aux Européens et conquit un vaste royaume au détriment des autres Africains, les chefs de l'Inkhata souhaiteraient dominer l'Afrique du Sud nouvelle; mais minoritaires au sein même du groupe zoulou, ils envisagent le repli sur le seul Natal / Kwazulu dont ils veulent voir les frontières agrandies.
  2. Il semble bien que l'équilibre interne de la République sud-africaine passe par le maintien de la présence de la population blanche (Néerlandais et Anglais - 4,5 millions) qui, dominante dans l'armée et la police ainsi qu'aux commandes de l'économie, assurera la cohésion d'ensemble du pays. Parmi les Européens, seule une minorité de la composante afrikaner-hollandaise conteste l'évolution actuelle. Ne pouvant enrayer le démantèlement de l'apartheid installé jadis à son profit, alliée à l'Inkhata, elle envisage, elle aussi, un destin séparé pour l'État boer à créer. Mais la dispersion territoriale des Afrikaners tout comme celle des richesses naturelles rend très aléatoire la création d'un tel État, confédéré ou non avec le reste de l'Afrique du Sud.
  3. Les autres groupes raciaux, Métis (3 millions) et Asiatiques (0,9 million) pèsent d'un poids très relatif. Les Métis sont en définitive assez proches politiquement des Blancs et représentent pour ceux dits Métis du Cap, la descendance de l'élément le plus autochtone de la région, les Khoïsan dont il ne reste que quelques individus en R.A.S. Les Asiatiques, concentrés dans le Natal, sont en butte à l'hostilité et à la terreur des Zoulous de l'Inkhata.

La solution fédérale.

La coexistence pacifique de ces populations diverses et variées est une gageure. Si l'unité du pays doit être maintenue, il y a lieu de lui donner une forme fédérale prononcée. Au besoin, il faut même envisager un découpage territorial, tenant expressément compte des réalités culturelles et tribales qu'il ne faut pas sous-estimer ; il serait dangereux d'écarter a priori l'éventualité de regroupements sur la base de ces apparentements. On a vu ailleurs à quoi toute impéritie en ce domaine pouvait conduire. L'A.N.C., chantre de l'unité à tout crin, est d'ailleurs bien mal armée pour affronter ces différences, même si elle peut s'enorgueillir d'une grande diversité dans son recrutement.

Questions et perspectives

Le démantèlement de l'apartheid est loin d'être terminé et ses conséquences politico-culturelles ne cesseront pas de peser encore longtemps sur l'avenir de ce pays. Les problèmes politiques essentiels semblent devoir s'articuler autour des questions suivantes:

  1. Quelle place pour les tribus blanches dans une Afrique du Sud multiraciale?
  2. Quelles structures territoriales mettre en place afin d'assurer l'équilibre entre populations et entre zones économiques ?
  3. Si l'ordre public devait se dégrader sérieusement, il est probable que Juifs (130 000) et Anglo-saxons partiraient les premiers ; mais les Afrikaners ne pourraient-ils pas être tentés, aggravant ainsi la crise, par l'instauration d'une République Boer? Dans une situation plus sereine, il faut envisager le maintien de ceux-ci, peut être même comme facteur de cohésion et de dynamisme de l'ensemble de la République d'Afrique du Sud, avec sa probable extension économique par intégration dans la zone australe de l'Afrique. Mais disposeraient-ils alors d'un territoire en propre, ou seraient-ils en situation d'autonomie civile et culturelle chez les autres ?

Propositions

La situation territoriale ne semble pas pouvoir s'écarter exagérément du modèle fédéral déjà en vigueur (4 États) avec partage des lieux de pouvoir. Mais en combien de morceaux constituants pourrait être découpée l'Afrique du Sud nouvelle ? Le découpage peut permettre à chaque population (ethnie ou sub-ethnie ou groupe minoritaire) de se sentir libre sur son territoire, mais doit éviter en même temps une trop grande dilution du pouvoir, qui serait nuisible à la dynamique économique et culturelle potentielle de cette région, au delà de la République d'Afrique du Sud. Les divisions internes devront être conçues de façon à prendre en compte dès maintenant la naturelle intégration du Lesotho et, du Ngwane, voire du Botswana. De plus, la dilution des pouvoirs, si elle a été encouragée par les Blancs, ne correspond absolument pas aux tendances politico-culturelles de ce peuple, ni chez les Noirs, ni chez les Blancs d'ailleurs.
La revalorisation du patrimoine khoîsanien et l'individualisation par conséquent, des Métis du Cap doit être encouragée, d'autant que le Sud namibien pourrait un jour s'aggréger a la République d'Afrique du Sud. Le succès du fédéralisme sud-africain aurait des conséquences bénéfiques pour l'Afrique noire tout entière, tant sur le plan de la restructuration politique que sur celui du développement économique et culturel. C'est une partie capitale qui se joue là-bas.

Jean-Louis Veyrac, 1994

carte

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