par Jean-Pierre Hilaire
La parution de la thèse de Laurent Abrate, Occitanie, des idées et des hommes, et le bilan des dernières élections municipales et cantonales nous invitent à prendre du recul. Parmi les grandes figures de loccitanisme moderne, François Fontan nous a quittés voilà plus de vingt ans, Félix Castan vient de décéder, Yves Rouquette a abandonné toute activité publique, Robert Lafont, malgré ses efforts désespérés, nest pas en mesure de peser sur les événements. Il semble bien révolu le temps des gourous. La nébuleuse occitane du début de ce siècle reflète labsence évidente de liens des Alpes aux Pyrénées et le repli sur le localisme. Peut-on se féliciter, s'auto-congratuler des résultats obtenus aux élections cantonales et constater la progression des scores qui demeurent toute fois testimoniaux? (Excepté celui dYves Boissière :10,5 % à la cantonale de Penne dAgenais. Larbre ne doit pas cacher la forêt. Si lobjectif des occitanistes politiques, quelle que soit leur appartenance, est de prendre le pouvoir au niveau des communes, des départements et des régions, sans parler des circonscriptions de députés, le compte nest pas bon comme on dit. Le mouvement politique occitan est faible, divisé et malade. Ses effectifs sont encore groupusculaires. Il est essentiellement masculin et ne touche que peu la jeunesse.
Le Partit Occitan continue de se chercher une identité en tournant autour du pot du nationalisme et naccepte toujours pas la concurrence.
Le CROC, très activiste, et jeune, est un peu sectaire idéologiquement ; il a du mal à avaler quon puisse être occitaniste sans être de gauche et anti-capitaliste. Jusquà présent, il na pas prêté attention aux luttes électorales.
Unitat dÒC et Pais Nòstra sont très régionaux et loin d'être les mouvements de masse quils aspirent à devenir.
Le PNO, peu présent comme tel dans la vie publique, n'arrive pas facilement à assumer lhéritage de François Fontan et à ladapter aux temps nouveaux sans le renier complètement, qu'il sagisse de lethnisme ou de la libération de la nation occitane. Les dirigeants historiques sont usés et la relève tarde à venir. Pour le moment, cest le cercle des militants disparus. Quant au mouvement culturel, qui navigue malaisément entre le politique et le culturel, il nest pas fiérot non plus. LIEO manque singulièrement de dynamisme sur le terrain tout comme le Félibrige. LUnion Provençale, dans un souci louable de récuser tout centralisme occitan, entretient unilatéralement une querelle stérile et suicidaire contre les "occitanistes accusés des plus noirs desseins et promeut une prétendue langue provençale et un peuple provençal. Dans ce cimetière des éléphants, une des réussites incontestables est le mouvement des Calandretas, qui tout compte fait, nest quune goutte deau dans locéan de la population scolaire occitane. A cet échec il faut ajouter le blocage institutionnel dans lEtat français où la question linguistique est tellement brûlante que son examen est toujours repoussé. On voit bien les difficultés que soulèvent lenseignement généralisé de la langue corse prévu dans les Accords de Matignon. Les avancées institutionnelles pour la Corse ne sont en aucune manière, nous martèle-t-on, extensibles aux autres régions françaises. Même dans l'Etat italien, la reconnaissance de la pluralité linguistique résistera-t-elle à une victoire éventuelle de Berlusconi et de ses alliés ? Faut-il plonger dans le désespoir ? Pas forcément. Lémancipation de la nation occitane est une tâche éminemment ardue pour les occitanistes (parmi lesquels je ninclue pas les sic®aires de Félix Castan et autres tenants de la culture-occitane-partie intégrante-de-la-culture-française).
Il leur faut conscientiser la famille et les proches, convaincre les Occitans quils sont occitans et quils doivent en tirer un certain nombre de conséquences pratiques ; les non-Occitans dorigine quils sont occitans de droit mais quils doivent respecter notre langue et notre culture, quil serait logique et souhaitable quils sy intéressent.
Il leur faut faire du lobbying auprès de leur municipalité, du Conseil Général, de leur région dans le cadre dune association culturelle ou dans tout autre cadre pour normaliser les signes extérieurs de lidentité occitane.
Il leur faut également exister comme force politique autonome et concurrente des forces politiques hexagonale de manière efficace. Se présenter aux élections ne suffit pas pour acquérir une reconnaissance. Il convient dexister en dehors des périodes électorales en sinvestissant dans la vie politique, sociale, culturelle et économique (cest le secret de la réussite d'Yves Boissière). Un mouvement politique ou culturel occitan ne peut pas faire léconomie des outils de travail de ce siècle : télécopie, courrier électronique, site sur le Web mais aussi formation à la politique, à la gestion administrative, à léconomie, au marketing politique. Dans les relations entre occitanistes et avec les militants dautres nations de lHexagone, la règle dor doit être la tolérance, la recherche de lunité et dobjectifs communs comme la reconnaisse officielle des langues de France, la ratification de la Charte européenne, un pouvoir régional accru, voir un statut dautonomie. Bref, cest le portrait du militant chef dorchestre. Admettons que cest un idéal difficile à atteindre. Surtout si on veut se ménager un espace pour la vie privée. Choisissons les meilleurs instruments en fonction de nos capacités. Faire du lobbying est utile et indispensable mais les drapeaux occitans et les plaques de rues en occitan ne socialiseront pas à eux seuls la langue et nentameront pas la tutelle de lEtat français sur notre nation. Seul un mouvement politique occitan puissant et une conquête même partielle du pouvoir au niveau local et régional peut permettre à lOccitanie davoir une existence autre que sentimentale, pour tout un chacun, aux côtés des Nations sans Etats, reconnues, de lEurope Occidentale, comme la Catalogne, le Pays Basque, lEcosse et le Pays de Galles. Cela dépend de nous. Ne rêvons pas de lOccitanie qui aurait pu exister, examinons ce que nous pouvons faire pour lOccitanie daujourdhui, cest à dire pour nous.
Jean-Pierre Hilaire
Servian, le 19 avril 2001
paru dans Lo Lugarn, n°75