LUGAR N°75

Choisissons les meilleurs instruments (2001)

par Jean-Pierre Hilaire


La parution de la thèse de Laurent Abrate, Occitanie, des idées et des hommes, et le bilan des dernières élections municipales et cantonales nous invitent à prendre du recul. Parmi les grandes figures de loccitanisme moderne, François Fontan nous a quittés voilà plus de vingt ans, Félix Castan vient de décéder, Yves Rouquette a abandonné toute activité publique, Robert Lafont, malgré ses efforts désespérés, n’est pas en mesure de peser sur les événements. Il semble bien révolu le temps des gourous. La nébuleuse occitane du début de ce siècle reflète l’absence évidente de liens des “Alpes aux Pyrénées” et le repli sur le localisme. Peut-on se féliciter, s'auto-congratuler des résultats obtenus aux élections cantonales et constater la progression des scores qui demeurent toute fois testimoniaux? (Excepté celui d’Yves Boissière :10,5 % à la cantonale de Penne d’Agenais. L’arbre ne doit pas cacher la forêt. Si l’objectif des occitanistes politiques, quelle que soit leur appartenance, est de prendre le pouvoir au niveau des communes, des départements et des régions, sans parler des circonscriptions de députés, le compte n’est pas bon comme on dit. Le mouvement politique occitan est faible, divisé et malade. Ses effectifs sont encore groupusculaires. Il est essentiellement masculin et ne touche que peu la jeunesse.

Le Partit Occitan continue de se chercher une identité en tournant autour du pot du nationalisme et n’accepte toujours pas la concurrence.

Le CROC, très activiste, et jeune, est un peu sectaire idéologiquement ; il a du mal à avaler qu’on puisse être occitaniste sans être de gauche et anti-capitaliste. Jusqu’à présent, il n’a pas prêté attention aux luttes électorales.

Unitat d’ÒC et Pais Nòstra sont très régionaux et loin d'être les mouvements de masse qu’ils aspirent à devenir.

Le PNO, peu présent comme tel dans la vie publique, n'arrive pas facilement à assumer l’héritage de François Fontan et à l’adapter aux temps nouveaux sans le renier complètement, qu'il s’agisse de l’ethnisme ou de la libération de la nation occitane. Les dirigeants “historiques” sont usés et la relève tarde à venir. Pour le moment, c’est le cercle des militants disparus. Quant au mouvement culturel, qui navigue malaisément entre le politique et le culturel, il n’est pas fiérot non plus. L’IEO manque singulièrement de dynamisme sur le terrain tout comme le Félibrige. L’Union Provençale, dans un souci louable de récuser tout centralisme occitan, entretient unilatéralement une querelle stérile et suicidaire contre les "occitanistes” accusés des plus noirs desseins et promeut une prétendue langue provençale et un peuple provençal. Dans ce cimetière des éléphants, une des réussites incontestables est le mouvement des Calandretas, qui tout compte fait, n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de la population scolaire occitane. A cet échec il faut ajouter le blocage institutionnel dans l‘Etat français où la question linguistique est tellement brûlante que son examen est toujours repoussé. On voit bien les difficultés que soulèvent l’enseignement généralisé de la langue corse prévu dans les Accords de Matignon. Les avancées institutionnelles pour la Corse ne sont en aucune manière, nous martèle-t-on, extensibles aux autres régions françaises. Même dans l'Etat italien, la reconnaissance de la pluralité linguistique résistera-t-elle à une victoire éventuelle de Berlusconi et de ses alliés ? Faut-il plonger dans le désespoir ? Pas forcément. L’émancipation de la nation occitane est une tâche éminemment ardue pour les occitanistes (parmi lesquels je n’inclue pas les sic®aires de Félix Castan et autres tenants de la culture-occitane-partie intégrante-de-la-culture-française).

Il leur faut conscientiser la famille et les proches, convaincre les Occitans qu’ils sont occitans et qu’ils doivent en tirer un certain nombre de conséquences pratiques ; les non-Occitans d’origine qu’ils sont occitans de droit mais qu’ils doivent respecter notre langue et notre culture, qu’il serait logique et souhaitable qu’ils s’y intéressent.

Il leur faut faire du lobbying auprès de leur municipalité, du Conseil Général, de leur région dans le cadre d’une association culturelle ou dans tout autre cadre pour normaliser les signes extérieurs de l’identité occitane.

Il leur faut également exister comme force politique autonome et concurrente des forces politiques hexagonale de manière efficace. Se présenter aux élections ne suffit pas pour acquérir une reconnaissance. Il convient d’exister en dehors des périodes électorales en s’investissant dans la vie politique, sociale, culturelle et économique (c’est le secret de la réussite d'Yves Boissière). Un mouvement politique ou culturel occitan ne peut pas faire l’économie des outils de travail de ce siècle : télécopie, courrier électronique, site sur le Web mais aussi formation à la politique, à la gestion administrative, à l’économie, au marketing politique. Dans les relations entre occitanistes et avec les militants d’autres nations de l’Hexagone, la règle d’or doit être la tolérance, la recherche de l’unité et d’objectifs communs comme la reconnaisse officielle des langues de France, la ratification de la Charte européenne, un pouvoir régional accru, voir un statut d’autonomie. Bref, c’est le portrait du militant chef d’orchestre. Admettons que c’est un idéal difficile à atteindre. Surtout si on veut se ménager un espace pour la vie privée. Choisissons les meilleurs instruments en fonction de nos capacités. Faire du lobbying est utile et indispensable mais les drapeaux occitans et les plaques de rues en occitan ne socialiseront pas à eux seuls la langue et n’entameront pas la tutelle de l‘Etat français sur notre nation. Seul un mouvement politique occitan puissant et une conquête même partielle du pouvoir au niveau local et régional peut permettre à l‘Occitanie d’avoir une existence autre que sentimentale, pour tout un chacun, aux côtés des Nations sans Etats, reconnues, de l’Europe Occidentale, comme la Catalogne, le Pays Basque, l‘Ecosse et le Pays de Galles. Cela dépend de nous. Ne rêvons pas de l‘Occitanie qui aurait pu exister, examinons ce que nous pouvons faire pour l‘Occitanie d’aujourd’hui, c’est à dire pour nous.

Jean-Pierre Hilaire
Servian, le 19 avril 2001

paru dans Lo Lugarn, n°75


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